Jeudi 7 mars 2019
Comment vous raconter les deux jours extraordinaires que je viens de passer ? Et par où commencer ?
Lors de ma dernière soirée à Hanoï, j’ai dîné avec mes deux amies Duong et un Américain qu’elles avaient contacté par Couchsurfing. Mars avait pas mal voyagé et était plutôt sympa. On a dîné dans une petite gargote de riz frit, ce n’était pas ce que j’ai mangé de meilleur ici mais ce n’était pas mauvais non plus. On a ensuite été se balader un peu, Duong Thuy nous a laissés car elle avait beaucoup de choses à préparer pour la fac et les deux autres se sont achetés un glace. Finalement je leur ai fait mes adieux et Duong m’a appelé un chauffeur Grab pour me conduire jusqu’à la gare. La gare était hyper excentrée, j’ai bien mis une demi-heure pour y arriver. En descendant, des chauffeurs de taxi se ruent sur moi en mode « Sapa ? Ha Long ? Dien Bien Phu ? ». J’ai déjà acheté mon billet en ligne, donc je trace ma route jusqu’aux guichets. La dame me dit d’aller directement sur les quais. Je demande les bus pour Sapa, on m’indique un quai. Personne ne parle anglais, le mec prend mon sac et le met dans la soute, me fait signe de monter dans le bus. Une fois installée, il vient me voir et me fait signe que je dois le payer. J’essaie désespérément de lui faire comprendre que j’ai déjà payé par Internet mais il ne semble pas comprendre. Je ressors de mon siège, je redescends du bus, ressors mon sac de la soute et retourne au guichet. J’explique à la dame, le chauffeur m’a suivie et elle lui fait la traduction. Finalement elle m’indique un autre quai, où le bon bus est là. Je monte, c’est donc un bus-couchettes, probablement pas le plus confortable mais ça fera l’affaire. Je me glisse sous la grosse couverture, et j’essaie de m’endormir. J’ai attendu désespérément qu’un autre touriste monte à bord, mais non, il n’y a que des Vietnamiens. Pourquoi j’ai attendu des touristes ? Parce que le bus est censé arriver à Sa Pa sur les coups de 3h du matin, que je n’ai rien réservé et que je dois attendre 9h30 pour rejoindre mon guide devant l’église. Sauf que personne à part moi n’a eu l’idée stupide de réserver ce bus-là. En attendant, je pique un petit somme dans mon bus.
J’ai dû dormir à peine deux heures. Nous sommes effectivement arrivés sur les coups de 3h du matin, par la fenêtre du bus, j’aperçois un groupe de touristes de mon âge avec leurs gros sacs à dos sur le perron d’un restaurant. En descendant du bus, je remonte direct la rue dans leur direction. Ce sont trois Espagnols, on commence un peu à discuter et ils m’expliquent qu’ils ont réservé une auberge mais que Ñato (le mec) a oublié son passeport et son argent dans le bus avec lequel ils sont venus. Il est d’ailleurs en train de négocier ferme avec des chauffeurs de taxi pour aller à Lao Cai essayer de rattraper le bus. Il se met d’accord avec les chauffeurs pendant que je discute avec les deux filles. Il part finalement direction Lao Cai et toutes les trois nous prenons un taxi pour rejoindre leur auberge. Les deux filles font leur check-in et partent se coucher. Je demande gentiment au gérant de l’auberge s’il est possible que je reste un peu dans la salle commune, que je prenne une douche et que je lui laisse mon sac pendant les deux jours où je partirai en trek avec le guide. Il accepte sans problème, ce qui me confirme que j’ai vraiment le cul bordé de nouilles. Le mec aurait carrément pu m’envoyer balader en me disant que je n’avais rien réservé, que c’était pas une consigne ni l’armée du salut. Mais non, je suis tombée sur un mec adorable. Je prends donc une bonne douche, je charge mon téléphone, profite de la wifi pour rassurer ma mère qui kiffe pas trop les bus de nuit et patiente sur les fauteuils de la salle commune. Il n’y a rien eu à faire pour que j’arrive à dormir, mais c’était toujours mieux que rien. Je profite de ma nuit blanche et d’avoir Internet pour planifier un peu la suite de mon voyage.
Quand le jour se lève, je laisse donc mon sac à l’auberge et je pars prendre un petit dej. Je remonte la petite rue en direction de l’église et je tombe sur un petit boui-boui ouvert et qui vend du phổ. Je m’installe, ça a l’air de beaucoup réjouir le serveur. Il me sert un pho au poulet et un café. Après ma nuit blanche, et en vu dés sept heures de trek qui m’attendent, ce n’est pas de trop. Le pho est une fois de plus délicieux. Le serveur est marrant, toutes les cinq minutes environ, il sort sur le trottoir et harangue le chaland pour qu’il vienne manger son pho. Tu peux assez facilement deviner à quoi ressemble le passant selon la langue qu’il emploie. Il est de taille moyenne, très mince, et son visage est très intéressant. Des pommettes très hautes, le visage anguleux, la peau tirée comme s’il n’en avait pas assez pour tout son visage. On commence à discuter tous les deux (son anglais n’est pas excellent mais tout à fait suffisant pour faire connaissance). Il s’appelle Ton (ou quelque chose comme ça, ce n’est jamais facile pour moi de comprendre les prénoms vietnamiens quand je ne les vois pas écrits au moins une fois), il a 25 ans, il vient d’Hanoï mais il a déménagé à Sa Pa il y a 4 ans et n’en bougerait pour rien au monde. Le plus amusant a le regarder est qu’il a une voix mille fois plus puissante que son apparence physique ne le laisserait supposer, une vraie voix de stentor. Une bien jolie rencontre.
Je me remets ensuite en route direction l’église. Sa Pa et sa région ont pendant très longtemps été très isolées du reste du pays et du monde. Situés à environ 1500 mètres d’altitude, la région est habitée par des minorités ethniques, parmi lesquelles les Hmong sont sans doute les plus connus et les plus nombreux. J’ai réservé pour ces deux jours à Sa Pa, un trek dans la vallée avec un guide, qui va nous emmener découvrir les villages habités par les Hmongs, les rizières en terrasses, la forêt de bambous, etc, etc. En attendant le guide, et puisque l’église est ouverte, je rentre jeter un œil. Je me retrouve en pleines répétitions des chants en vue de la messe. L’église est très simple, peu décorée, en revanche, je constate qu’elle se remplit à vue d’œil. Je suis la seule étrangère, à part un petit groupe que je soupçonne d’être des touristes coréens. Finalement, le prêtre arrive, la messe commence et puisque j’ai suivi une bonne partie des répétitions, je suis capable de chanter avec les fidèles (les paroles défilent sur un écran, ça aide !). Ayant rendez-vous à 9h30, je sors de l’église à temps, me rends compte au passage que des gens suivent la messe depuis l’extérieur car il n’y avait plus assez de places.
À 9h30, je retrouve Sinh, notre guide, et nous rejoignent rapidement, Graham, Bridgit, Peter et Yvonne, deux couples d’amis en voyage au Vietnam. Graham et Bridgit sont britanniques, vivent à moitié à Londres, à moitié en Angleterre après avoir été longtemps expatriés, notamment en Inde où ils ont fait la connaissance des deux autres. Peter est néerlandais, Yvonne est allemande, ils se sont rencontrés il y a dix ans sur une plage de Long Island. Ils ont tous entre 42 et 50 ans. Graham se révèle très vite être le gai luron de la bande, celui qui chante, taquine tout le monde et surtout sa femme (mais je n’y échapperai pas haha!) et un bon randonneur. Bridgit est beaucoup moins sportive, c’est le Gaston Lagaffe du groupe, elle est plus douce et discrète. Peter est calme et posé, il s’intéresse à plein de choses. Yvonne est dynamique, souriante, douce et super intéressante. Elle a des yeux incroyables et je me suis particulièrement bien entendue avec elle. Très vite, je me réjouis de partager cette expérience avec eux et je n’aurai pas à revenir sur ma première impression.
Après un café acheté pour réveiller Peter, nous nous mettons en route pour le trek. La vue est très vite à couper le souffle. Nous empruntons de petits chemins de terre, que les villageois empruntent également. Trois femmes Hmongs se joignent à nous (Sinh nous avait prévenus, elles sont également là pour nous vendre des objets issus de leur artisanat à l’arrivée, mais elles ne se montrent jamais insistantes ni pénibles. Par ailleurs, leur main secourable sera plus d’une fois la bienvenue). Sinh nous explique qu’il y a 10 ans à peine, la région était totalement isolée, les habitants n’avaient pas de voiture, ni même de mobylettes ou d’engins motorisés et qu’ils montaient à Sapa à cheval pour vendre leurs marchandises au marché. Aujourd’hui ils sont nombreux à avoir des mobylettes mais beaucoup se déplacent encore d’un village à l’autre à pied par ces petits chemins. Les chemins servent également aussi lorsqu’ils s’agit d’accéder aux rizières pour la plantation ou la récolte du riz.
Les Hmongs sont donc une minorité ethnique du Nord-Vietnam, habitants des montagnes. Ils sont divisés en plusieurs catégories selon la couleur et les motifs de leurs vêtements traditionnels. Sinh et les autres personnes que nous rencontrerons pendant ces deux jours appartiennent à l’ethnie des Hmongs noirs. Leurs vêtements sont teints à l’indigo d’un bleu très foncé, presque noir et brodés de différents ornements de couleurs vives. Les femmes portent une veste mi-longue, croisée sur le devant, ceinturée par une large ceinture. Certaines (les plus jeunes) portent une jupe plissée un peu plus colorée, d’autres une sorte de pantalon légèrement bouffant. Sur leurs longs cheveux noirs enroulés sur leur tête, certaines nouent de jolis foulards colorés, tandis que d’autres préfèrent un chapeau noir en forme de toque. J’ai demandé à Sinh, ça n’a pas de signification particulière, c’est simplement une question de goût.
On marche pendant plusieurs heures dans un décor de toute beauté. Des rizières en terrasses, la montagne derrière. Le soleil joue à cache-cache dans les nuages, il tombe quelques gouttes mais rien de bien méchant. La rando est intense par moments, beaucoup plus simple à d’autres. Nous croisons de nombreux locaux, hommes, femmes, enfants et aussi des touristes. Et c’est aussi l’occasion de croiser plein d’animaux : des buffles majestueux, des cochons, des chèvres, des oies, des canards, plein de chiens et plein de poules suivies de leurs petits poussins. Yvonne est comme moi, le genre de personnes qui peut rester vingt minutes à s’émerveiller devant un cochon. On prend évidemment plein de photos, du paysage, des animaux et des gens (avec leur permission, cela va sans dire). C’est un paysage que je voulais voir une fois dans ma vie et je n’aurais jamais pu imaginer que cela soit aussi beau. On s’arrête déjeuner dans un petit resto. Petit bouillon aux légumes avec des nouilles et du tofu.
On repart en direction du troisième village, Lao Cai. C’est là que nous passerons la nuit, chez May. Nous y retrouvons Alice, une Anglaise, avec qui on a fait connaissance au déjeuner. Je suis ravie de la retrouver, elle a le même âge que moi, voyage elle aussi toute seule et elle avait l’air super. Cela se confirmera ! On arrive donc chez May. May est une femme incroyable, elle a 37 ans, elle a eu 3 enfants, deux fils et deux filles d’un premier mariage, son mari étant décédé, elle s’est remarié il y a trois ans avec Tu. C’est l’occasion également pour nous d’en savoir plus sur les traditions matrimoniales des Hmongs. Quand un homme veut épouser une femme, il la kidnappe, la garde dans sa famille pendant trois jours et à la fin des trois jours, la jeune fille doit dire si elle est d’accord pour l’épouser ou pas. Si elle est d’accord, ils se marient, sinon, elle rentre chez elle. D’après ce qu’on a compris, faut pas dire non trop de fois sinon tu finis vieille fille. May a donc été kidnappée par son mari mais de toute évidence, elle a dit oui.
Alice et moi profitons de la soirée pour aider May à préparer le dîner. On épluche une sorte d’herbe, puis les haricots verts. Enfin, on l’aide à préparer les nems. Je vous l’avais déjà dit dans mes Chinoiseries à Pékin, les nems ne sont pas chinois mais vietnamiens. J’en profite pour demander à May sa recette. Chou, champignons, oignons, carottes, nouilles, de la coriandre et un œuf. On apprend donc à rouler les nems et on les met à frire dans une grande poêle sur le feu. Au milieu de la cuisine de May, il y a un trou dans le sol avec un feu. J’ai passé une grande partie de la soirée là, inutile de vous le dire. On dîne ensuite tous ensemble, avec May et son mari, les enfants ont déjà mangé. May est vraiment une femme exceptionnelle, elle a appris l’anglais avec des cours payés par l’organisme de tourisme pour lequel elle travaille, et son anglais est excellent.
May nous a préparé un véritable festin : les nems frits et croustillants, l’herbe que nous avons épluché en salade vinaigrée, les haricots verts, de la viande de porc hachée, du poulet avec des légumes, du riz, de la goyave bouillie et du canard. Parenthèse sur le canard. Le canard était encore vivant il y a quelques heures, une magnifique cane avec des plumes blanches et beige, on a même pu lui faire un petit câlin avant que May ne lui coupe la tête (je n’ai pas pu assister à ça et inutile de vous dire que je n’ai pas non plus pu manger le pauvre canard). Après donc ce festin et quelques verres de « happy juice » (alcool de riz à réveiller un mort) qui a mis tout le monde un peu pompette (je n’en ai pas bu, comme vous vous en doutez), on a mis le cap sur nos chambres. Lit bien confortable et grosse couverture moelleuse (la même que dans le bus de nuit). Je partage mon lit avec Alice, avec qui je m’entends super bien et que j’espère recroiser pendant le voyage. On arrange la moustiquaire, et après deux quasi nuits blanches et sept heures de trek dans la montagne, inutile de vous dire que je ne fais pas de vieux os.
Nous sommes réveillées le lendemain matin par le bruit de la rivière et le chant du coq. Il a plu une grosse partie de la nuit, ce qui augure des sentiers plutôt boueux et glissants... Petite toilette de chat au lavabo (j’avais pris une bonne douche chaude la veille au soir) et on se retrouve tous dans la pièce principale pour le petit déjeuner. May nous a préparé des crêpes, et je peux vous assurer qu’elle n’a rien à envier à la plus émérite des cuisinières bretonnes. Sucre ou sirop de sucre, ainsi que des bananes et de l’ananas, avec une bonne tasse de thé. Le paradis. Avant de partir, May nous propose de revêtir les costumes traditionnels des Hmongs. Petite photo souvenir avec cette merveilleuse hôte. Je la sers fort dans mes bras avant de partir et lui fais un gros bisous sur la joue (je lui ai bien sûr demandé si elle était d’accord, je ne suis pas une sauvage). A ce propos, les Vietnamiens sont plus tactiles que je ne l’aurais pensé. On ne se fait pas la bise mais on se serre volontiers dans les bras (sorte de hug à l’américaine). Surprenant.
On repart dans la montagne toujours guidé par Sinh. Ayant bien dormi et bien nourrie par la cuisine de May, je suis en pleine forme. Mes baskets sont dans un état lamentable, trempées et pleines de boue, mes chaussettes feraient fuir une meute de chacals mais qu’importe. Mon entrain me vaut un beau compliment de Graham « T’es géniale, je sais pas comment tu fais, à ta place je pourrais pas ». On continue donc à crapahuter dans la vallée, ça monte et ça descend. Il y a malheureusement ce matin un épais brouillard qui cache une bonne partie de la vue mais respirer l’air frais de la montagne fait toujours du bien. On marche pendant environ 4 heures avant d’atteindre un petit restaurant où l’on se retrouve entre touristes randonneurs. Je fais la connaissance de Mathieu et Carolina, un couple franco-italien qui habite à Londres. On prend ensuite une voiture pour rejoindre Sapa. Elle s’arrête devant mon auberge le temps que je récupère mon sac et ensuite c’est Sinh qui m’emmène sur sa mobylette jusqu’au point de départ de mon bus pour Hanoï. Je lui fais mes adieux en le remerciant chaleureusement pour la merveilleuse expérience que je viens de vivre et que je n’oublierai jamais. En attendant mon bus, je fais la connaissance de Lilo, Anni et Marie, trois Allemandes. Lilo et Anni voyagent ensemble, Marie voyage seule également. En attendant le bus, j’entends à côté de moi un groupe de personnes dont la langue sonne familier à mon oreille. Je demande au monsieur le plus proche de moi d’où ils viennent mais il secoue la tête pour me dire qu’il ne parle pas anglais. Je lui redemande « Where are you from? » mais il secoue de nouveau la tête et me dit « Nerozumím » (Je ne comprends pas, en tchèque). Je souris et lui réponds « Mluvíte česky? ». Il a l’air extrêmement surpris, me dit oui oui et je commence à taper la discute avec eux, un groupe d’environ 6 personnes entre 55 et 65 ans. Ils hallucinent complètement de rencontrer au Vietnam une Française qui parle (un peu !) tchèque. Ils viennent de Brno et c’est un heureux hasard que de les avoir croisés. Après un peu plus de 5 heures de bus, une halte sur une aire d’autoroute où j’ai essayé un truc emballé dans une feuille de banane proprement immangeable et un petit truc sucré au riz noir plutôt bon, nous sommes arrivés à Hanoï. J’ai dîné rapidement d’un bún cha avec mes trois Allemandes puis chacune a regagné son auberge. Perchée au deuxième étage de mon lit superposé, je m’endors difficilement.
Profite bien de ce beau périple ma kiwette. Où peut-on voir la photo de toi en tenue hmong ? :)
RépondreSupprimer