mardi 30 août 2016

Yovo in Togo (#4) : Deuxième semaine !

Mardi 9 août 2016

Nous sommes mardi matin, ça fait très exactement une semaine que j’ai posé le pied sur le sol togolais pour la première fois. Hier, je suis allée travailler avec Aleysha, on est allées rendre visite à AFEL, une autre association qui s’occupe d’assister les gens dans les démarches de jugement supplétif (ça sert à obtenir un acte de naissance pour un enfant quand ce dernier n’a pas été déclaré dans les 45 jours qui suivent sa naissance). On a donc rencontré la directrice de l’association et son assistante, Lucia, qui m’a semblé être une femme très intéressante. La discussion avec elles était très instructive, et j’ai notamment appris que les subventions données par l’Union Européenne sont malheureusement souvent bloquées par les gouvernements qui les distribuent uniquement aux ONG et associations qui les soutiennent, et pas aux autres. Voire ils ne les distribuent tout simplement pas. Bref, je crois que le problème politique au Togo demeure le problème principal et qu’il sera très difficile pour le pays de se développer tant qu’ils n’auront pas à la tête de l’Etat des gens honnêtes et de bonne volonté. Mais c’est malheureusement je crois le lot de beaucoup de pays d’Afrique. On a ensuite peaufiné notre affiche, il ne nous reste plus qu’à ajouter la photo d’un enfant tenant son acte de naissance avec fierté, et l’affiche sera prête. On a ensuite beaucoup discuté avec Martin de plein de trucs. Pour ce qui est de la suite du stage, j’ai malheureusement l’impression qu’il va être difficile de mener à bien le projet que nous avions lancé, car il faut obtenir des autorisations pour tout, elles sont longues à obtenir et le gros du travail serait principalement à faire dans les villages puisqu’à Lomé, la situation n’est pas si mauvaise. On a discuté hier après-midi avec Emmanuel, le responsable des volontaires médicaux (pas mon chauffeur de taxi-moto préféré qui lui aussi s’appelle Emmanuel), il nous a assuré que les sages-femmes parlaient déjà aux mamans de ces démarches mais que celles-ci étaient parfois négligentes. Je reste persuadée qu’une petite piqûre de rappel serait bénéfique pour tout le monde mais il ne semblait pas de cet avis. Quand je vois en France et partout en Europe, le nombre de fois qu’il faut expliquer les démarches aux gens avant que ça ne rentre dans leur esprit, alors que nous avons pourtant accès à toutes sortes d’informations, je me dis qu’ici, ce ne serait pas de trop. Moi-même j’avoue ignorer totalement certaines démarches administratives, donc une femme togolaise, parfois analphabète, qui a beaucoup de difficultés à se déplacer, qui a du mal à nourrir sa famille, etc., je ne suis pas persuadée qu’elle connaisse toutes la démarche de déclaration de naissance. Mais bon. Emmanuel nous a tout de même proposé d’intervenir mercredi après-midi lors de l’activité qu’il organise sur les maladies tropicales. C’est déjà pas mal. L’idéal serait que nous puissions aller dans les villages les plus reculés, mais ce ne sera probablement pas possible. Si je vois que rien ne peut aboutir, je demanderai probablement si je peux changer d’association, ou alors j’essaierai de trouver un autre projet sur lequel travailler mais le problème risque d’être le même. Hier après-midi, après être rentrées, m’être jetée sur le plat de riz et de lentilles que Loulou avait préparé, nous sommes allées passer l’après-midi au bureau de Projects Abroad, où j’ai eu toutes les difficultés du monde à accéder au wifi et à réussir à mettre la première partie de ce journal en ligne. Tiffanie est malade, car dans un demi-sommeil, elle a bu l’eau du robinet sans réfléchir et ses intestins n’ont pas trop kiffé. Je suis comme d’habitude rentrée avec Emmanuel et Aleysha avec Aményo. On a dîné de spaghettis au piment et je suis allée me coucher à 20h30 pour dormir jusqu’à 6h (si l’on excepte un petit réveil vers 02h30 car Komlan est rentré en faisant un boucan du tonnerre).

Ce matin, nous sommes parties au bureau, on ne savait pas exactement ce que nous allions bien pouvoir faire. Et contre toute attente, pas mal de choses sont en train de se débloquer, lentement mais j’espère sûrement. On a demandé à madame Brigitte s’il était possible d’aller dans un village, on va essayer d’organiser ça. On a essayé de dessiner un petit enfant pour l’affiche, mais vu mes compétences en dessin, cela a été un échec cuisant. On est finalement partis pour le marché de Totsi, pour essayer d’obtenir une autorisation pour faire de la sensibilisation sur le marché. On nous envoie tout d’abord dans une première petite pièce, où il y a deux femmes et deux hommes. Puis on nous dit qu’il faut aller voir la présidente, les deux hommes nous accompagnent. On se retrouve dans la boutique de tissus où Aleysha a acheté son pagne la semaine dernière. On réexplique notre démarche. Ca n’a pas l’air possible, il faut aller voir la direction pour pouvoir faire tous les marchés. On reformule un peu notre demande, on est assis sur une sorte de banc entre les pièces de tissu. Finalement, la situation se débloque et on nous autorise à intervenir jeudi à partir de 13h sur le marché. Ils ont même l’air enthousiastes surtout la dame qui nous serre la main avec un grand sourire. Avant de quitter le marché, on retourne dire au revoir à la femme du frère de Martin et à la belle-maman. Au moment où nous allons partir, une des dames de la première pièce me fait signe d’approcher. Je retourne dans la pièce et elle me dit « Mais pourquoi vous n’allez pas dans les villages ? Il faut aller dans les villages, moi dans mon village par exemple, les gens souffrent aussi, les enfants, pas d’acte de naissance, rien », « Quel est le nom de votre village madame ? », « Ayakopé », « On ira madame ». L’espace d’une demi-seconde j’ai l’impression d’être un homme politique en campagne, à qui les gens demandent des choses, qui serrent des mains et tente de rassurer la population. Quoi qu’il en soit, je suis bien décidée à insister auprès de madame Brigitte pour que l’on essaie d’aller dans ce village.

(…) Cet après-midi, nous avions l’activité de groupe organisée chaque mardi après-midi par Projects Abroad. Au programme d’aujourd’hui, confection d’un bracelet en perles. Si vous me connaissez un peu, vous savez à quel point j’ai une sainte horreur des travaux manuels. Et contre toute attente, je me suis laissée prendre au jeu, je me suis un peu appliquée et le résultat n’est pas trop moche. J’ai fait connaissance avec les autres volontaires qui sont arrivées cette semaine, dont une flopée de Français. Bastien est étudiant en droit aussi et Anaelle va commencer sa première année de droit en septembre. Après avoir fini mon bracelet, bu mon Youki Cocktail (une boisson d’ici qui en gros ressemble à de l’Oasis pétillant) et discuté un peu avec tout le monde, je suis rentrée en taxi-moto avec Emmanuel comme d’habitude. C’était la première fois que je rentrais en taxi-moto de nuit et j’étais pas forcément super enthousiaste à l’idée, mais tout s’est très bien passé. J’en profite toujours pour discuter un peu avec Emmanuel, je  lui explique ce que je fais au stage, je lui pose des questions sur la vie au Togo, la culture, etc. Aujourd’hui, on a parlé de son village et de sa famille. Il est l’aîné d’une fratrie de huit enfants, son père avait trois femmes, et d’après lui, il n’a pas tellement apprécié grandir dans cette famille polygame, car ça cause beaucoup de problèmes et de disputes. En tout cas, lui ne veut qu’une seule femme. Et je lui ai posé la question, ici la polygamie ne semble pas être réservée aux familles musulmanes. On est donc rentrées dîner avec Aleysha, salade d’avocats, de tomates, d’oignons et d’une sorte de saucisson à l’ail. S’en est suivie une grande conversation sur toutes sortes de sujets, et c’est aussi ce que j’attendais de cette expérience : rencontrer des gens d’horizons différents, échanger, partager, et pour ça, c’est génial !

Ah oui, j’ai demandé à Martin pour les communautés juives, et non il n’y en a pas, les enfants qui portent des prénoms que nous considérons comme associés au judaïsme en France sont en fait des familles chrétiennes qui piochent les noms de leurs enfants dans l’Ancien Testament. D’où Isaac, Israël, etc.

Jeudi 11 août 2016

Hier soir, j’étais trop claquée pour vous raconter ma journée. Hier matin, nous sommes donc parties travailler avec Aleysha. Il était prévu que nous allions porter la demande d’autorisation au Centre médico-social de Djidjolé (mon quartier à Lomé) et ensuite qu’on aille porter la demande d’autorisation à la régie des marchés au marché central. On part en moto avec Martin et Aleysha avec une autre moto. On arrive au CMS, la directrice n’est pas là mais on laisse le document à la secrétaire qui promet de rappeler rapidement pour nous donner une réponse. Elle aussi a l’air tout à fait en accord avec notre projet. On rentre au bureau et quand on entre, on voit trois personnes attablées à notre table de travail, une dame, un jeune homme et une jeune fille. Madame Brigitte nous explique que la jeune fille (Audrey) va faire un stage avec nous. Elle n’a rien à voir avec Projects Abroad, c’est juste une famille d’origine togolaise, dont la mère et la fille vivent aux Etats-Unis et le fils à Paris. Madame Brigitte nous dit qu’Audrey va venir avec nous à la régie des marchés. Pourquoi pas, sauf que ce qu’il faut bien comprendre, c’est qu’Aleysha et moi avons déjà du mal parfois à nous occuper toute la journée, que tout ici prend beaucoup de temps. Je me rends rapidement compte qu’Audrey parle très mal le français, elle ne le lit pas non plus et vu qu’elle n’articule pas quand elle parle (quand elle parle !), même en anglais je ne la comprends pas. Sachant que Martin, Salomé et madame Brigitte ne parlent pas anglais. Heureusement Aleysha est écossaise, donc on devrait pouvoir s’en sortir. Quand j’apprends qu’elle a 14 ans et qu’elle est au lycée, je me demande bien l’intérêt pour elle de venir faire ce genre de stage, surtout que d’après ce que sa mère nous a dit, elle veut travailler avec les enfants, donc elle aurait plutôt dû se diriger vers un orphelinat. Bref, ça a pris environ 35 minutes de plus pour savoir si elle venait avec nous à la régie des marchés, pour savoir si on essayait de lui trouver un casque ou pas (finalement non), pour qu’on trouve une moto supplémentaire, etc., etc. On part donc à 3 motos en essayant de se suivre, ce qui est particulièrement dangereux car mon chauffeur et celui d’Aleysha n’avaient pas la moindre idée de où nous allions, ils devaient donc suivre Martin et se suivre dans le trafic du centre-ville de Lomé, c’est vraiment pas triste. J’ai vu ma dernière heure arriver une douzaine de fois. On a finalement purement et simplement perdu Martin et nos chauffeurs ont dû demander aux passants où était la régie des marchés. Après vingt bonnes minutes supplémentaires, on a réussi à le retrouver. On a donc été déposer notre demande à la régie des marchés, la directrice a été particulièrement conciliante donc ça devrait pouvoir se faire. En rentrant, on a finalement terminé notre affiche, puisqu’elle doit être prête pour demain. Il nous fallait un enfant pour la photo, je suis donc allée demander à la maman de ma petite protégée si elle acceptait qu’Elisa soit le visage de la campagne et elle a gentiment accepté. Je reviens donc avec Elisabeth au bureau, on l’installe devant le panneau blanc, je lui retire le jus d’ananas congelé qu’elle a dans la main droite, et le chewing-gum mâchouillé qu’elle a dans la main gauche. Pendant ce temps, un monsieur en costume nous observe et entame la conversation avec moi. Il est conseiller juridique et on finira par échanger nos coordonnées. On finit la photo avec la petite Elisa qui a l’air de se demander ce qu’on lui veut même si Salomé lui explique en éwé ce qu’elle doit faire. J’ai l’impression qu’Elisa ne parle pas du tout le français, je crois qu’elle le comprend mais elle ne parle pas. Je ramène ensuite Elisa à sa maman (Flora). On termine ainsi la mâtinée, et on rentre déjeuner à la maison. Lorsque j’ai fini le plat de semoule, le poulet et les légumes (Aleysha ne mange pas beaucoup, je pense que je mange environ 5 fois plus qu’elle), c’est presque l’heure de partir au centre-ville. Aményo et Emmanuel viennent nous chercher à 15h40, direction le centre-ville. Mon Dieu je déteste ce trajet. Je suis tellement crispée sur le porte-bagages qu’à un arrêt, un monsieur me dit « Yovo, il faut lâcher ça ! ». On arrive à la banque pour qu’Aleysha change ses francs CFA en cédis (la monnaie du Ghana, puisqu’elle y va ce week-end), sauf que la banque est fermée, un monsieur nous indique où garer les motos et nous dit qu’il va nous accompagner jusqu’à un bureau de change. Je n’aurais jamais changé le moindre centime dans ledit bureau (bureau qui est en fait une simple table dans la rue…) si j’avais été seule, mais tout se passe bien et Aleysha repart avec ses cédis. On déambule ensuite dans le marché, je demande parfois aux garçons ce que c’est sur les étals des commerçantes. On évite soigneusement le rayon boucherie (j’ai déjà aperçu des têtes de bœufs entières, avec les dents et tout le truc ce matin au premier marché, ça me suffira pour aujourd’hui, je ne suis pas sûre que mon estomac résiste à plus). On ne parlera pas des conditions de conservation, réfrigération, etc. puisque vous avez compris qu’elles sont inexistantes. Ce matin, sur ledit marché des têtes de bœufs, une petite fille me faisait de grands signes en criant « Yovo Tata, Yovo Tata ». Je lui tends les bras en lui disant « Tu viens me faire un bisou ? », la petite a couru se jeter dans mes bras. J’en reviens à notre balade au marché, on déambule, et sans les garçons, je crois que j’y serais encore tellement mon sens de l’orientation, déjà mauvais en temps normal, est de l’ordre du désolant au Togo. On rentre en moto, et alors que nous sommes arrêtés à un croisement, une dame m’interpelle et me dit « Yovo, je-sais-pas-quoi-en-éwé ». Je dis à Emmanuel que j’ai rien compris (évidemment). « Ah, elle dit que tu es trop belle ». Oh, trop mignon. En rentrant, on offre un verre au bar Sky à côté de chez nous à nos chauffeurs. J’en profite pour en savoir un peu plus sur eux, ce qui les a amenés à Lomé car tous les deux sont originaires d’un village. Emmanuel est venu étudier l’allemand, Aményo la géographie mais malheureusement ils n’ont pas pu poursuivre leurs études faute de moyens.

Vendredi 12 août 2016

Il est actuellement 05h30 du matin, et je vais profiter d’avoir été réveillée tôt pour vous raconter ma journée d’hier. Hier donc, nous arrivons au bureau avec Aleysha, il est prévu que nous allions au tribunal et que nous passions ensuite par la régie des marchés pour récupérer notre autorisation. Madame Brigitte nous prête fort heureusement sa voiture, et nous voilà en route, Salomé, Aleysha, Audrey et moi pour le tribunal. Dans la grande salle, il n’y a rien mais il y a un procès pour mineurs dans la seconde salle. On entre, on se trouve une place sur les bancs déjà fort occupés et on assiste au procès. Il s’agit de quatre jeunes garçons qui sont jugés, deux pour avoir volé une forte somme d’argent (environ 780 euros, ce qui ici paraît totalement surréaliste mais passons…), trois boîtes de sardines et cinq de lait concentré, du fil électrique, etc. et deux pour avoir globalement fait le guet pendant que le méfait était commis. Le juge leur pose des questions, ils ne parlent pas français donc un traducteur les assiste. Le juge me fait rire, car il soulève des faits qui paraissent étranges, du style comment une revendeuse de bazar laisse 780 euros dans son magasin pendant toute la nuit alors même que sa maison est fort éloignée. « C’est le nec plus ultra de la sécurité dans votre magasin ? » lance le juge à la dame. Il est vrai que laisser 780 euros dans un magasin, déjà en Europe ça paraît surprenant mais vu la fortune que cela représente ici, c’est encore plus surprenant. Les jeunes eux soutiennent n’avoir trouvé, et donc volé, que 30 000 francs (contre les 615 000 francs avancés par la partie civile…). Bref, ça discute un bon moment. Jusque là tout va à peu près bien, le procureur fait son réquisitoire, ok, et là, au moment où l’avocat de la défense devrait prendre la parole, il ne se passe… rien. Les gamins n’ont pas d’avocat, personne pour les représenter, et encore moins les défendre. Je demande à Salomé « Mais ils n’ont pas d’avocat ? Qui les défend ? », elle me répond « Non, pas d’avocat, ils n’ont pas d’argent pour le payer ». Malheur… En revanche, la partie civile avait un avocat…  Là évidemment, pour une juriste en formation, particulièrement attachée au droit à un procès équitable et aux droits de la défense, c’est à pleurer. Peut-on parler de procès, peut-on parler de justice dans une situation aussi déséquilibrée ?
Le verdict tombe, trois ans de prison fermes pour ceux qui ont volé, un an ferme pour ceux qui ont fait le guet. Les gamins s’en vont, menottes au poignet. Je n’ai pas encore vu les prisons ici, mais vu le procès, je m’attends au pire. Je ne sais pas encore si j’aurai l’occasion d’y aller. Voir où ces gamins vont passer trois ans de leur vie (sachant qu’ils étaient déjà détenus depuis le mois de juin en attendant le « procès »…). Ils ne vont probablement rien apprendre en prison, ressortir encore plus miséreux qu’ils ne le sont déjà et que va-t-il bien pouvoir advenir d’eux ? Je ne connais pas le taux de récidive au Togo mais ce serait intéressant de le chercher… Ne vous méprenez pas sur mes propos, ce qui me choque, ce n’est pas qu’on condamne un voleur à trois ans de prison, ce qui me choque, c’est que l’on enferme des jeunes de 18 ans pendant trois ans dans des conditions que je devine a minima difficiles, sans qu’ils aient été défendus par un professionnel. Je ressors du tribunal le cœur serré. Je savais qu’en venant ici, et en effectuant ce stage dans les droits de l’homme, je serai peut-être amenée à voir des choses choquantes, affligeantes ou même révoltantes. Mais c’est dur quand même. Je sais que les volontaires qui effectuent leur stage en médecine ou en kinésithérapie souffrent aussi particulièrement de ça. Diana, ma copine espagnole, est kiné en Espagne depuis 4 ans. Elle me dit que c’est horrible de voir les méthodes qu’ils appliquent ici, qu’ils emploient la force sur des enfants pour redresser leurs membres, alors que cela ne fait qu’entrechoquer les os et que ça fait plus de mal que de bien, que les enfants crient, pleurent et les parents assistent à ça résolus, persuadés que c’est bon pour leur enfant. Certains volontaires ont purement et simplement refusé de pratiquer cela sur les patients, mais cela entraîne bien sûr quelques tensions. Je devine Diana suffisamment douce et diplomate pour parvenir peut-être à faire passer un message ou du moins à ne pas être contrainte de traiter ses patients de cette façon. Céline, une volontaire française en médecine, a malheureusement vu des enfants mourir faute de sang, sachant que lorsque l’on a besoin de sang ici, il faut souvent le faire venir du Ghana, le pays voisin (plus développé), que vu l’état des routes et des voitures, cela prend du temps, temps que l’on n’a pas lorsqu’un enfant a perdu trop de sang pendant une intervention, et certains de ces enfants sont morts alors qu’en Europe, ils auraient très probablement pu être sauvés. Je ne vais pas vous parler des conditions de stérilisation des instruments et autres parce que je ne suis pas une spécialiste de la médecine, mais il est évident que les standards européens sont très, très éloignés.
Je suis navrée que mon journal de bord prenne un accent aussi triste, mais c’est aussi la réalité togolaise, plus largement africaine et l’on ne peut pas faire comme si elle n’existait pas.

Après cette visite au tribunal, Aleysha et moi sommes rentrées déjeuner, riz, poulet et sauce rouge aux carottes et aux poivrons. Comme d’habitude, j’ai fait honneur à la cuisine de Loulou. On repart ensuite au bureau, où on perd un peu de temps à savoir si on attend que Martin revienne avec les affiches, ou si on le rejoint directement au marché. Finalement, Salomé, Aleysha, Audrey et moi nous mettons en marche direction le marché de Totsi. Bon, il faut savoir qu’ici les femmes ne marchent pas vite, elles marchent même lentement, mais genre, vraiment lentement (Maman, ici tu marcherais tout à fait normalement, voire même un peu vite). Aleysha et moi sommes donc 800 mètres devant et pourtant on ne peut pas marcher plus lentement. En chemin, on récupère Lucia, la dame d’AFEL qui va venir nous donner un coup de main. On arrive finalement au marché, Salomé, Lucia et Audrey sont exténuées (on a marché environ 20 minutes hein…), s’épongent le front avec un mouchoir… Haha mais c’est qui les Togolaises ici ? Bref, on se dirige vers la direction du marché. Et là, c’est encore un merdier épouvantable, en gros ils n’ont rien compris de ce qu’on leur a demandé la dernière fois, ils sont restés sur leur idée que l’on allait regrouper toutes les femmes au même endroit, etc. Donc on attend je-ne-sais-trop-quoi, ça discute, ça brasse de l’air, ça agite nos belles affiches fraîchement imprimées. Je dois avouer que j’ai un moment d’agacement et de découragement, où je me demande si on va un jour pouvoir parvenir à faire cette sensibilisation, si tout cela n’est pas totalement vain, etc. Je demande quel est le problème, selon eux il n’y a pas de problème, donc je sais pas pourquoi on attend mais une chose est sûre, on attend. Bref, après environ 30 minutes de brassage d’air et de pourparlers, on est enfin autorisées à commencer. Je fais équipe avec Lucia, je laisse Aleysha se dépatouiller avec Audrey (dont on ne sait pas encore exactement quelle langue elle parle). Salomé les aide également. Martin fait le tour du marché pour accrocher les affiches aux différentes entrées. On commence avec environ 4 femmes, assis sur des tabourets à l’entrée du marché. La plupart d’entre elles ne parlent pas français, alors c’est Lucia qui parle et qui me traduit l’essentiel. On interroge une dame, puis deux. Arrive alors une jeune femme enceinte, accompagnée d’un petit garçon. On l’interroge, pareil, elle ne parle pas français, mais je demande à Lucia qu’elle lui explique tout particulièrement bien la démarche, qu’elle insiste sur le fait que cela est gratuit et qu’on ne doit pas lui demander d’argent. Cette jeune femme va mettre un enfant au monde dans quelques temps, c’est sans doute avec elle qu’il faut le plus insister pour que toutes les informations soient bien claires. Elle a un air un peu triste mais semble intéressée, elle pose des questions à Lucia. Lucia est formidable, pleine d’énergie, elle parle parfaitement éwé et français, elle est gentille, claire, elle connaît les us et coutumes d’ici, bref c’est la personne idéale avec qui faire équipe. Quand on en a terminé avec la jeune femme enceinte, je demande à Lucia qu’elle lui dise que je lui souhaitais un beau bébé en pleine santé. Lucia traduit, la jeune femme sourit d’un air touché, et me donne un des paquets de pop-corn qu’elle vend. C’est à mon tour d’être extrêmement émue… On continue dans le marché, on interroge environ 15 femmes et un homme. Certaines après nous avoir écoutées, vont chercher leurs copines qui ont a priori besoin de notre aide. La plupart des femmes ne parlent pas français, ou alors très peu, et la présence de Lucia m’est indispensable. Je pourrai néanmoins interroger deux femmes seule, puisqu’elles parlent très bien français et que l’on peut communiquer sans problème. L’une d’elles est adorable, la cinquantaine passée, le courant passe bien entre nous, on se salue d’une poignée de mains et elle me demande mon prénom « Laurianne. _ Laurianne, joli prénom ! ». Pour les autres, je laisse Lucia parler, je prends en note ce qu’elle me traduit, et je me contente de sourire, de remercier les femmes d’un « Akpélo Mama » (merci Maman en éwé, Maman étant une marque de respect envers les femmes plus âgées) qui les fait sourire. A un moment donné, je me retrouve assise sur un banc, coincée entre deux tables chargées de marchandises, une horrible odeur de poisson séché sous le nez, en nage, à griffonner sur ma feuille les informations traduites par Lucia, mais en ayant le sentiment d’être utile. Une des femmes que nous interrogeons ne connaît pas son âge… Beaucoup sont persuadées que la déclaration de naissance à l’état-civil est payante, alors qu’il n’en est rien…
Après environ une bonne heure et demi à déambuler dans le marché, il est temps de rentrer, la maman d’Audrey devant venir la chercher au bureau. Lucia, Salomé et Audrey retournent au bureau en taxi (20 minutes de marche supplémentaires et je crois qu’on les aurait perdues). Martin, Aleysha et moi repartons à pied, on rentre directement à la maison se vautrer sur nos lits. Je suis complètement épuisée. Le soir, c’est salade de crudités, œuf, morceaux de saucisse et pain. On discute un peu avec Aleysha, je vais finalement me coucher et je m’endors enroulée dans ma moustiquaire.

Ce matin, je crois que j’ai été réveillée par ce qui m’a semblé être une sorte d’appel à la prière (il y a environ 20% de musulmans au Togo), puis par quelqu’un qui a beuglé pendant environ 5 minutes dans la rue, puis, sûr d’avoir réveillé tout le quartier, s’est tu, mais ce sont les coqs et la volière qui ont pris le relais. Ca m’a permis de vous narrer ma journée d’hier et je vais de ce pas aller prendre mon petit déjeuner. Ce matin, le club des enfants revient et j’ai besoin d’énergie pour être au top avec eux.

(…) Ce matin, on a passé les deux premières heures à discuter avec Aleysha et à compiler les informations que nous avions recueillies hier. Puis j’ai préparé le plateau de jeu pour le jeu de l’oie que nous avions prévu avec les enfants. Nous avions récupéré les cartes préparées par une autre volontaire, mais le plateau n’était plus là donc j’en ai refait un autre et nous avons utilisé les cartes. Sur le plateau, quatre types de cases : vrai ou faux, droit, devoir ou jeu. Chaque carte « droit » énonce un droit de l’enfant (droit à la santé, droit d’aller à l’école, etc.). Chaque carte « devoir » énonce un devoir de l’enfant (devoir d’obéir à ses parents, etc.). Les cartes « vrai ou faux » posent une question à laquelle il faut répondre par vrai ou faux (« est-ce qu’un enfant de 12 ans peut effectuer de lourds travaux ?), les cartes « jeu » proposent un petit jeu histoire de divertir les enfants. On fait deux équipes, il y a également deux cases marquées d’une croix, si l’on tombe dessus, il faut retourner au départ. La première équipe qui termine le parcours a gagné. Les enfants sont incroyables, ils sont évidemment hyper enthousiastes. Ils sont beaucoup moins nombreux cette semaine que la semaine dernière, puisqu’ils ne sont que 16. On fait deux parties, chaque équipe en gagne une, comme ça pas de jaloux. Les enfants sont absolument fascinants. Un des petits s’appelle Missié (ou Ahmed, si j’ai bien compris…), il doit avoir 12 ans, il a un esprit incroyablement vif, une maturité étonnante, beaucoup de personnalité. Il y a aussi Jean-Pierre, 11 ans je crois, plein de vie, d’énergie et très attachant. Georges, 13 ans, le chef du « club des enfants », celui qui a la responsabilité de les regrouper et de nous les amener. Chez les filles, Joséphine, 12 ans environ, qui me pose plein de questions, Inès, 7 ans, tellement attachante, Pedrita, 5 ans et demi, qui sait déjà lire… Après l’activité, et comme la semaine dernière, beaucoup se ruent sur moi, et c’est parti pour une séance de câlins, bisous, coiffure à grands renforts de « Tata ». On leur distribue des biscuits, et certains me demandent d’aller saluer leur maman. Me voilà donc guidée dans les maisons du quartier, deux enfants au bout de chaque bras, menés par Joséphine et Inès. On salue d’abord la maman de Joséphine, qui m’accueille avec un bébé dans les bras, il est tout petit alors qu’il a 6 mois mais il est prématuré m’a-t-elle dit. Puis on va saluer la maman de Pedrita, à qui j’exprime toute mon admiration pour la petite, sa maman est couturière et accompagnée d’une de ses amies. Puis Inès m’emmène voir son papa (qui est en fait le frère de Madame Brigitte). Il me raconte qu’il vivait à Paris dans sa jeunesse. Ca me fait tout bizarre d’entendre parler de La Chapelle et de la rue Marx Dormoy dans une maison d’un petit quartier de Lomé. Je rentre ensuite au bureau où l’on planifie le programme de la semaine prochaine. On rentre déjeuner à la maison d’un plat de lentilles, on se repose un peu et j’en profite pour vous raconter ma mâtinée. Cet après-midi on retourne au centre-ville, probablement en taxi-partagé cette fois, et ce soir on prend un verre avec les autres volontaires au Radisson Hôtel.

(…) Cet après-midi, Aleysha et moi avons donc pris un taxi partagé, ce qui est en fait moins cher que les motos. Taxi partagé, ça veut juste dire qu’on monte dans un taxi mais que le conducteur peut aussi charger d’autres personnes si elles vont dans la même direction que nous. On monte donc à bord de notre taxi, il nous dépose à la mairie, pas loin de la place de l’indépendance. On se balade, à pied, ce qui ici paraît de l’ordre de l’inconcevable (surtout qu’on a emmené nos casques au cas où on serait amenées à prendre un taxi-moto pour rentrer). Un monsieur nous dit « Il y a une loi ici, quand on a un casque, on ne marche pas ! ». C’est la deuxième plaisanterie qui m’a bien fait marrer depuis ce matin, où Georges (le petit gamin) nous a raconté une histoire drôle que je vais partager avec vous parce que je trouve qu’elle vaut le coup. C’est l’histoire d’un homme qui tombe dans un trou, et le trou est si profond qu’il ne peut pas en sortir. Un lion arrive et s’apprête à le dévorer. L’homme se dit « Seigneur, faites que le lion ait une pensée chrétienne… ». Au même moment, le lion se dit « Seigneur, bénissez ce repas ». :D

On se balade donc dans le marché, mais c’est rapidement épuisant, devoir être constamment sur le qui-vive pour ne pas se faire renverser par une mobylette ou une bagnole, devoir décliner gentiment les multiples propositions des vendeurs, essayer de ne pas se casser la gueule sur les irrégularités de la route. On regarde quelques stands, mais je ne trouve rien de transcendant (je cherchais potentiellement une robe), du coup on se dirige directement vers l’hôtel Radisson où nous avons rendez-vous avec les autres volontaires. A l’entrée, il faut montrer patte blanche, on relève notre identité. Aleysha et moi on est habillées comme des clochardes, on est dégueulasses, transpirantes, tant et si bien que je me demande un instant si on ne va pas se faire jeter dehors avec un coup de pied aux fesses mais non, on nous accueille comme des princesses. On retrouve Becky et Sydney qui sont déjà arrivées. Les autres arrivent au fur et à mesure. On monte au 27ème étage, on arrive dans une sorte de bar lounge super beau, super chic, et super cher. C’est 3 500 francs CFA le jus de fruits, soit un peu plus de 5 euros, ça reste néanmoins moins cher que Paname. Et c’est le très haut de gamme de Lomé. Je vais faire un tour aux toilettes pour me laver les mains, c’est la première fois que je me les lave à l’eau chaude depuis que je suis arrivée. Je sirote mon jus d’ananas (fraîchement pressé !) tout en discutant avec Mar, Diana et Anna. Ensuite les autres veulent aller dîner au Breakfast to Breakfast mais j’estime que j’ai déjà dépensé suffisamment d’argent pour aujourd’hui, aller manger un burger ou une pizza ne m’intéresse pas spécialement, je décide donc de rentrer, Aleysha et Anna aussi. On prend donc un autre taxi partagé qui nous dépose dans la grande rue derrière chez nous, Aleysha passe à la supérette s’acheter un truc à grignoter, je n’ai pas spécialement faim, on rentre se coucher.

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