vendredi 2 septembre 2016

Yovo in Togo (#5) : Long week-end à Lomé

Samedi 13 août 2016

Ce week-end, je n’ai rien de particulier de prévu. La plupart de mes potes volontaires sont partis au Ghana, mais je n’avais pas assez d’argent pour payer le visa que l’on peut obtenir à la frontière et je n’avais qu’un visa à entrée unique, donc si je sortais du territoire du Togo, je ne pouvais plus y revenir. Le Ghana ce sera pour une autre fois. Je reste donc à Lomé ce week-end, Anna la volontaire anglaise qui était avec moi à Kpalimé aussi, donc on va probablement faire des trucs ensemble. Ce matin, nous avions d’ailleurs prévu d’aller au village artisanal. J’ai profité d’être réveillée par l’appel à la prière/les coqs/l’oiseau qui vit sous ma fenêtre pour me laver les cheveux, opération toujours quelque peu périlleuse ici, j’ai pris mon petit déjeuner, Emmanuel est venu me chercher à 9h30 et m’a déposée devant le village artisanal. Comme d’habitude on discute en route. Hier soir, Isabel l’avait déjà appelé pour qu’il vienne la chercher (c’est son chauffeur attitré, car il l’emmène tous les jours au travail. Moi, comme mon travail est à 2 minutes de chez moi, j’y vais à pied, donc je n’ai pas de chauffeur attitré) et donc il n’a pas pu me ramener. Il me dit qu’il veut déménager et qu’il a trouvé une autre maison vers la frontière avec le Ghana. Oui, j’ai oublié de le préciser mais la ville de Lomé est totalement sur la frontière avec le Ghana et il suffit de changer de quartier dans la ville pour arriver à la frontière. Devant le village artisanal, je retrouve Anna. On fait le tour, c’est une sorte de petite cour autour de laquelle sont disposés des stands, les artisans travaillent en même temps et vendent le fruit de leur travail. Anna négocie une trousse (qu’elle fait passer de 1 500 francs à 500 francs…, le genre de trucs dont je suis parfaitement incapable haha). On arrive au niveau des cordonniers en plein labeur, dont les gestes et le bruit du marteau me sont étrangement familiers. J’explique au monsieur que mon père fait le même métier que lui et lui demande s’il accepte que je le prenne en photo pour montrer à ma famille. Il accepte très gentiment et dit « Bonjour Papa ! » quand je prends la photo. Les Togolais n’ont pas volé leur réputation d’être un des peuples les plus hospitaliers d’Afrique de l’Ouest. Après avoir fait le tour du village artisanal, Anna et moi nous dirigeons vers le Musée national. En arrivant à hauteur du musée, je retrouve Emmanuel, à qui j’avais dit que j’irai au musée mais comme je ne savais pas combien de temps j’allais rester et que je lui enverrai un message. Avec Anna, on entre dans le musée, c’est 2 500 francs l’entrée. Le musée est exactement tel que le Routard le décrit. Certes, il est relativement petit (deux salles), la collection n’est pas extrêmement riche (ceci dit les œuvres ont été soit pillées, soit vendues à cause d’un manque de moyens, et je pense qu’on doit pouvoir en retrouver un certain nombre à Paris au musée du Quai Branly…), mais on sent une véritable volonté de mettre en valeur la culture togolaise, de l’expliquer au visiteur. Les panneaux explicatifs sont nombreux et bien rédigés. La première salle est consacrée aux explications des pratiques artisanales selon les différentes régions du pays. Les forgerons, la vannerie, des armes de la région de Bassar, des tissus, des instruments de musique, etc. La plupart des volontaires m’avaient dit que le musée n’était pas intéressant, que les œuvres les plus importantes avaient été vendues, etc. Anna et moi sommes bien contentes d’avoir tenu à nous faire notre propre opinion. C’est sûr que si on arrive dans ce musée en s’attendant à visiter le Louvre ou le MET, on risque d’être relativement déçu. Le musée n’a pas à rougir de sa collection, ni de sa présentation. La deuxième salle est consacrée à l’histoire du pays, depuis la traite des esclaves jusqu’à l’indépendance en 1960. On y voit de terribles menottes, chaînes et entraves. On y trouve aussi des cartes datant de l’époque coloniale. Egalement des photos du général de Gaulle en visite à Lomé. On peut également y voir le traité instituant le protectorat allemand sur le Togo en 1884. Effectivement, le Togo a d’abord été une colonie allemande, suite à ce protectorat et jusqu’à la fin de la Première Guerre Mondiale. Les Allemands ayant perdu la guerre, ils ont aussi perdu une bonne partie de leurs colonies, et le Togo a alors été rattaché à l’empire colonial français. Le Togo français avait d’ailleurs été amputé d’une partie de son territoire, rattaché au Ghana, sous domination britannique. Mais 30 ans de domination allemande ont tout de même laissé une empreinte sur le pays, ce qui le singularise par exemple du Bénin voisin. On trouve d’ailleurs un Institut Goethe à Lomé (et par exemple, Emmanuel avait choisi d’étudier l’allemand à l’université, malheureusement un manque de moyens financiers l’a empêché de poursuivre). Il n’y avait personne quand on est arrivées, mais la dame s’est empressée de nous allumer les ventilateurs. Un autre groupe de touristes arrive au moment où nous partons. La dame nous remercie chaleureusement de notre visite.
Devant le musée, nous retrouvons donc Emmanuel qui m’a attendue tout le temps de ma visite, on discute un peu avec lui, Anna décide de rentrer en taxi-partagé, je rentre avec Emmanuel qui en route m’explique les noms des différents quartiers de Lomé et leur origine. Il me redépose devant chez moi, je raconte à Loulou ma visite du village artisanal et du musée. Pour ce midi, elle m’a préparé un des plats que je préfère, du riz avec une sorte d’omelette aux légumes et au piment, je me régale. La panse bien remplie, je décide d’aller faire une petite sieste. Sieste qui finalement dure trois heures, ma moustiquaire en guise de couverture. Je ne vais probablement rien faire d’autre aujourd’hui vu que la nuit commence déjà à tomber. Demain c’est dimanche, Loulou m’a proposé d’aller à l’église. Les voisins ont chanté un chant (religieux je pense puisque je comprenais « Hosannah ») pendant une demi-heure, toute la famille s’y est mise.

Dimanche 14 août 2016

Hier soir, je suis allée discuter avec Loulou pendant qu’elle cuisinait. Je me suis ensuite régalée d’une assiette de spaghetti au piment et de frites de bananes plantain (mon péché mignon ici !). Et dodo ! Ce matin, j’avais dit à Loulou que je l’accompagnerais à la messe. On part à 8h, direction le collège protestant, dans l’enceinte duquel la messe est célébrée. Loulou m’a expliqué qu’ils étaient en train de construire l’église mais que pour l’instant, la messe était célébrée dans les locaux du collège. Pour l’occasion, Loulou s’est mise sur son 31, boubou dans les tons jaune-orangé, anneaux en or aux oreilles. Je me sens passablement pouilleuse mais elle me dit que je suis très bien. Elle tient à m’acheter une bouteille d’eau, de peur sans doute que je me dessèche totalement pendant la messe. On entre dans une petite boutique, et je n’ai pas compris pourquoi ni comment mais un monsieur que l’on ne connaissait ni d’Eve ni d’Adam a payé ma bouteille d’eau. On prend ensuite un taxi partagé qui nous dépose devant le collège. On entre dans la grande salle qui sert à rassembler tous les étudiants le lundi matin pour « placer la semaine dans les mains de Dieu » selon les termes de Loulou. Soit. Une croix pailletée en mode disco des années 80 a été accrochée. Au pied de « l’autel », un incroyable amas de nourriture et marchandises en tous genres. Je mets un moment à comprendre que oui, il y a bel et bien un coq vivant dans un panier au pied de l’autel et de toute évidence, il s’impatiente. Loulou m’explique qu’après la messe, il y a une vente aux enchères pour récolter de l’argent pour l’église. La salle se remplit petit à petit, Loulou connaît visiblement beaucoup de monde, tout le monde me salue comme si j’étais de la famille. Je me retrouve coincée entre Loulou et une dame au tour de taille tout à fait honorable. Après une bonne trentaine de poignées de mains, ça commence. Une chorale fait son entrée, des femmes habillées comme les étudiants américains lors de leur remise de diplôme, chapeau à l’appui, des hommes, etc. Ils chantent une chanson plutôt entraînante, dans laquelle je reconnais « merci » en éwé. Je serais prête à parier que le refrain était un truc du style « merci Seigneur, merci, merci ». Une deuxième chorale fait son entrée, composée exclusivement de femmes vêtues de blanc et de vert, comme la semaine dernière à Kpalimé. La messe est entièrement en éwé, donc inutile de vous dire que je ne comprends pas grand-chose à part « Amen ». J’ai oublié de préciser que Loulou n’est pas la seule à avoir sorti ses vêtements de fête, l’assemblée est un vaste parterre multicolore, boubous des grands jours, rehaussés de paillettes, broderies, etc., les bijoux sont de sortie, ainsi que les chapeaux, turbans et autres coiffes. Le pasteur fait son sermon, Loulou m’en traduit la majeure partie à l’oreille mais j’ai beaucoup de mal à l’entendre car la sono n’est pas des plus mauvaises. Ensuite, la fanfare reprend du service et c’est le moment de la quête. Il était visiblement inconcevable que je ne donne rien, je me suis donc fendue de 250 francs. Il faut savoir que la quête est plutôt marrante ici. Ce n’est pas une petite corbeille que l’on fait passer dans les rangs, non non, tout le monde se lève et va déposer sa petite obole dans la boîte. On commence par les membres des chorales, puis vient le tour des mamans avec enfants, puis tout le monde se lève rang par rang. Dans toute l’assemblée, nous sommes 3 « Yovos » et une albinos. C’est donc tout le parterre qui se lève et se dirige vers la boîte en se trémoussant au rythme de la musique. Tout le monde se rassoit, petite chanson, et la messe est finie. Une partie de l’assemblée quitte les lieux. C’est le tour de la vente aux enchères au profit de l’église. La musique reprend, et de partout on amène de la nourriture et des marchandises en tous genres. Des tomates, des ignames, des ananas, des bananes, des boîtes de je-ne-sais-quoi, des pagnes, des beignets, des poules, des chèvres (vivantes), etc., etc. Environ 15 personnes s’affairent derrière le « commissaire-priseur » pour arranger des lots d’articles dans de grands paniers. La vente aux enchères commence par une bouteille d’eau. Et c’est là que l’affaire a pris un tour que je n’ai que moyennement apprécié. Quelqu’un a acheté cette bouteille d’eau 10 000 francs CFA, c’est-à-dire environ 15 euros. Je passe ici mes journées à constater la misère, la pauvreté, le manque criant de moyens financiers. On m’explique que des familles n’ont pas 6 000 francs pour obtenir un jugement supplétif, et donc une personnalité juridique, et donc un avenir à leurs enfants. Et à côté de ça, certains sont prêts à filer 10 000 francs à l’église en échange d’une bouteille d’eau ? Je sais l’importance de la religion pour les Togolais, mais là, c’est quand même difficile pour moi de constater ça. Je reste un moment dubitative, voire même légèrement agacée. Bien sûr, il y a des inégalités de richesse partout, bien sûr chacun fait ce qu’il veut de son argent, bien sûr la construction d’une église est une cause tout à fait honorable. Néanmoins, je ne peux m’empêcher de penser que cet argent pourrait être utilisé à des fins bien plus concrètement utiles. Au bout de trois heures et demi de messe/fanfare/vente aux enchères, j’avoue que je commence à trouver le temps long, surtout que tout est en éwé, donc à part les prix qui sont dits en français, je ne comprends rien. Heureusement, on lève le camp. On rentre à la maison, j’organise mon après-midi, le programme est normalement d’aller voir le port de pêche et ensuite de retourner à la messe, catholique cette fois, et non, je ne me suis pas transformée en grenouille de bénitier. C’est juste que Anna joue de la flûte traversière dans la chorale de cette église ce soir et j’ai envie d’aller l’écouter jouer.

(…) Cet après-midi, Emmanuel est donc venu me chercher pour m’emmener au port de pêche. Il devait initialement donner un cours de moto à un autre volontaire, mais quand il a su que Anna ne serait pas avec moi, l’idée de me laisser seule au port de pêche n’a pas semblé l’enthousiasmer plus que ça, et donc il a annulé pour rester avec moi. Si je n’en voyais pas initialement la nécessité, j’avoue qu’en arrivant là-bas j’étais bien contente d’être accompagnée. C’était loin, plutôt paumé, coincé entre la cimenterie et les containers prêts à être chargés, et on n’avait pas dû y voir un Yovo depuis l’époque de la construction des pirogues, c’est-à-dire facile un demi-siècle. Alors une Yovo, et de surcroît toute seule, je pense que c’était juste inenvisageable. On fait donc un bon moment de moto, passant par des quartiers de Lomé dans lesquels je ne m’étais pas encore aventurée. Emmanuel ne désespère pas de m’apprendre les noms des quartiers et je crois qu’il a encore l’espoir qu’un jour je me repère, mais quand on est passés devant la statue devant laquelle on était passés à l’aller et que j’étais toujours aussi paumée, je crois qu’il a compris que j’étais un cas désespéré. On arrive au port de pêche, le garde à l’entrée a l’air de se demander ce que une Yovo peut bien venir fabriquer ici. Quand Emmanuel lui explique que je veux venir visiter le port de pêche, je vois à sa tête qu’il se dit que je suis complètement frappée. Il nous pose 40 questions, est-ce que l’on a un badge (évidemment non), est-ce que Emmanuel est zemidjen (chauffeur de taxi-moto, en l’occurrence, la réponse me semblait assez évidente), est-ce que j’étais sa femme (là, on a commencé à le perdre), est-ce que je voulais épouser un Togolais (là, on l’avait perdu). Bref, comme cela était précisé dans le Routard, il faut donner un petit quelque chose pour passer, j’entends parler de 1 000 francs, ce qui me semble un peu exagéré, en ressortant Emmanuel me dit que 500 francs suffiront amplement et effectivement, le garde est trop occupé à me faire de grands sourires pour regarder le billet que je lui donne. On pénètre donc dans le port de pêche, on gare la moto, et on s’aventure sur les pontons. Les pirogues sont là, ancestrales, aux couleurs passées mais au charme intact, des gamins dorment sur des filets, d’autres nous regardent avec de grands yeux, des moteurs sont entreposés pour les plus petites embarcations. Une forêt de drapeaux aux couleurs de pays totalement improbables (je ne suis pas sûre que la Croatie soit parfaitement au courant qu’une pirogue d’un autre âge arbore son fameux drapeau à damiers, tout comme je doute que l’Italie laisse naviguer ce genre d’épaves flottantes en toute connaissance de cause). Je ne suis pas sûre que ces bateaux battent réellement pavillon du pays du drapeau hissé, je crois qu’ils ont surtout accroché le drapeau qu’ils ont trouvé, et très honnêtement je l’espère, car ce serait purement et simplement criminel de la part desdits Etats d’accorder leur pavillon à des bateaux dans un tel état. Je précise que je n’ai pas vu de drapeau français. Il n’y a malheureusement pas de poisson aujourd’hui, la grande halle des grossistes est vide. Je prends quelques photos, et Emmanuel me propose de m’emmener voir la plage (« Pure Plage »), à deux minutes d’ici. En route, on arrive, ça ressemble à une plage privée mais en fait elle est gratuite. Il y a juste des transats qui appartiennent à un restaurant et qu’on peut probablement louer si on le désire. La plage est magnifique et contre toute attente, extrêmement propre, autant, si ce n’est plus, que nos plages françaises. On voit que c’est l’océan, puisque les vagues ne sont pas sans me rappeler le sud-ouest de la France… mais fort heureusement quelqu’un a eu la bonne idée de construire une sorte de digue pour briser les vagues, et donc au bord de la plage, elles sont tout à fait raisonnables. Il me tarde de revenir avec mon maillot. On repart ensuite direction le quartier de Totsi, pas loin de chez moi, pour assister au spectacle de la chorale dans laquelle Anna doit jouer de la flûte traversière. Mais il semble que l’on arrive trop tard et que la chorale d’Anna soit déjà passée. Bien que protestant, Emmanuel a été assez gentil pour m’accompagner dans l’église (catholique) et pour ensuite me redéposer chez moi puisque je ne suis pas sûre que j’aurais pu retrouver ma rue dans la nuit, hahaha. En rentrant, Loulou m’accueille avec le sourire et m’annonce que lors de la vente de ce matin, l’église a récolté plus de 9 millions de francs CFA. Espérons qu’ils en fassent bon usage… Je dîne d’une salade d’avocats, tomates, oignons et morceaux de saucisse, et Loulou, de fort bonne humeur, me propose une petite tasse de thé pour clore le repas. Je suis bien claquée par ma journée, le vent de la plage et le trajet en moto m’ont vannée, demain matin je vais tenter une petite grasse mat’, même si je sens d’ores et déjà que les coqs du quartier ne vont pas être de cet avis. Eyitsor !

NB : Juste pour info, et pour que vous compreniez mieux mon incrédulité de ce matin, sachez qu’au Togo, le SMIC tourne aux alentours des 28 000 F. CFA par mois (soit environ 42 euros…) et que le revenu national brut par habitant atteint péniblement les 820 dollars… Je vous laisse juge.

PS : Petits anecdotes supplémentaires sur la circulation à Lomé. Pour la première fois, en montant dans le taxi partagé ce matin, comme je suis montée seule devant, le chauffeur m’a demandé de mettre ma ceinture. Je ne m’y attendais tellement pas que j’ai mis environ 20 secondes à comprendre de quoi il parlait. J’ai aussi vu des policiers arrêter des motos parce que les conducteurs n’avaient pas de casques. Par contre, pour les passagers, on s’en tamponne. Et j’ai aussi vu un mouton vivant sur une moto. Non, je déconne pas.

Lundi 15 août 2016

Ce matin, après l’échec cuisant de ma grasse matinée, je me suis levée, lavée, j’ai pris mon petit déjeuner et enfilé mon maillot de bain car cet après-midi je vais à la plage avec Anna. Aujourd’hui, c’est l’Assomption aussi au Togo, et c’est également un jour férié. C’est l’occasion pour moi de vous faire un petit topo sur la religion ou plutôt les religions au Togo, les croyances, etc. Du moins ce que j’ai pu en apprendre en discutant avec les Togolais, et aussi ce qu’en dit le Routard. Il semble que la moitié de la population soit composée d’animistes. L’animisme, pour faire simple, c’est une croyance en une âme, une force vitale qui animerait les êtres vivants, mais aussi les éléments naturels (pierres, vents), et on croit aussi aux génies protecteurs. On compte aussi près de 30% de chrétiens, dont un tiers se situe dans la région de Lomé (majoritairement catholiques, mais il y a aussi des protestants). Et il est évident que les sectes évangélistes ont le vent en poupe (Eglise des Assemblées de Dieu du Togo, Témoins de Jéhovah, etc.). Les musulmans sont environ 20% et sont plutôt dans le nord du pays, même si on en voit aussi à Lomé.

Même s’il y a donc de nombreux chrétiens, on ne peut pas totalement exclure la place des croyances traditionnelles, du vaudou, des féticheurs, etc. Je discutais hier avec Emmanuel de tout ça, essayant de voir s’il y croyait ou pas (il m’a dit qu’il fréquentait l’église protestante). Je lui raconte les histoires gabonaises d’Hugo et il a l’air de trouver ça parfaitement normal. Je lui demande s’il croit aux envoûtements, etc. Il ne dit pas vraiment non, me disant « Si des gens disent que ça existe… ». Et il m’explique que si tu as une dispute ou un problème avec quelqu’un, alors la personne peut t’envoûter et il faudra que tu ailles voir un féticheur pour qu’il fasse sortir l’envoûtement de toi. Je suis restée, vous vous en doutez, quelque peu perplexe. Mais je pense que malgré l’importance indéniable du christianisme (toutes églises confondues), même les jeunes générations ne peuvent pas se détacher totalement des croyances ancestrales et beaucoup de Togolais restent superstitieux. Pour en revenir au christianisme, on voit ENORMEMENT d’affiches, de publicités, d’inscriptions faisant référence à Dieu et à Jésus. Par exemple, on voit partout des voitures ou des motos portant des inscriptions du style « Jésus est la solution », « Dieu seul suffit », « God’s power », etc. Même chose sur les bateaux hier au port. On voit aussi beaucoup de publicité pour les sectes évangéliques, etc. et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’ils utilisent des mots percutants. Il y en a une qu’on voit partout dans Lomé qui dit « No Jesus, no life, Sans Jésus tu n’es qu’un cadavre ambulant ». Il semblerait qu’Aleysha ne s’en soit toujours pas remise car elle étouffe un ricanement à chaque fois qu’on croise ladite publicité (et on la croise relativement souvent). Il y aussi beaucoup de noms de magasins qui font référence à la religion, chrétienne ou musulmane (j’ai vu un magasin hier qui s’appelait Incha Allah, oui, oui avec un A supplémentaire).
Une des questions que les Togolais risquent de vous poser rapidement est « Quelle église tu fréquentes ? ». Martin, notre collègue nous l’a déjà posée, et la réponse « Je ne crois pas en Dieu » semble leur paraître très bizarre. Du coup, maintenant j’explique que ma maman est catholique, mais que moi je ne crois pas vraiment en Dieu, mais qu’en France c’est comme ça, que l’on peut ne pas croire ou croire en ce que l’on veut.

Pour ce qui est des questions concernant la famille, etc., je peux dire qu’ici j’ai la chance d’avoir une famille qui exerce des métiers manuels, ce sont des métiers qui existent aussi ici et qui parlent à tout le monde. Quand je dis que mes frères sont mécanicien et cordonnier (je simplifie un peu mais globalement, c’est ça), ça parle à tout le monde. Si je devais commencer à expliquer ce que c’est qu’un chef de projet ou un métier du même style, ce serait sans doute beaucoup plus difficile. Un autre truc, être enfant unique ne semble pas exister ici, tout le monde a des frères et sœurs, et dans le cas des familles polygames, encore plus de frères et sœurs.

Ah, il faut aussi que je vous explique le système des prénoms. La majorité des Togolais ont deux prénoms, un prénom togolais (qui dépend du jour de leur naissance) et un prénom français pour ceux qui sont chrétiens, arabe pour ceux qui sont musulmans. Par exemple, Lucia (la dame d’AFEL) s’appelle Essi en prénom togolais (elle est née un dimanche) et Lucia en prénom de baptême. Emmanuel s’appelle Kodjo en prénom togolais (il est né un lundi) et Emmanuel en prénom de baptême. J’ai demandé à Delphine comment s’appellent les filles nées un mercredi, je m’appellerais donc Akou si j’étais née ici. Prudence s’appelle aussi Yaou (il est né un jeudi). Certains utilisent plus volontiers leur prénom togolais, d’autres, surtout quand ils se présentent à des étrangers, utilisent plus leur prénom de baptême. Ah oui, et ici « Fanta » est un prénom féminin, et pas seulement une boisson à l’orange…

Je change totalement de sujet, j’en suis désolée, mais Diana m’a expliqué qu’elle avait apporté un peu de matériel d’Espagne, dont une bande autocollante que l’on peut mettre lorsque l’on a reçu un choc. Elle m’a dit qu’elle avait montré à ses collègues ici comment l’utiliser et qu’ils étaient tout contents avec lesdites bandes. Je me réjouis que Diana ait pu apporter ce petit progrès et qu’elle ait réussi à expliquer les bienfaits de ce procédé.

(…) Nous sommes déjà mardi matin, hier j’étais trop fatiguée pour vous raconter ma journée, et elle fut riche en émotions. Le matin, rien de particulier, j’ai lavé mes sous-vêtements à la main, mes chaussettes n’ont toujours pas retrouvé leur couleur d’origine et même après trois machines, je ne suis pas sûre qu’elles la retrouvent un jour, mais qu’importe. J’ai déjeuné et Emmanuel est venu me chercher pour m’emmener à la plage retrouver Anna. Le pauvre Emmanuel m’avait prévenue qu’il aurait du retard car Marcos (le volontaire à qui il donne les leçons de moto avait mis plus de temps que prévu). Finalement, nous partons et retrouvons Anna. On se balade un peu sur la « Pure plage », malheureusement dès que l’on s’éloigne de la plage qui appartient au restaurant/bar, la plage est beaucoup plus sale, des détritus un peu partout, etc. Et surtout, juste à côté de la Pure plage où des Blancs paient leur repas plus de 15 000 F. CFA, on trouve un véritable bidonville, aux murs et aux toits de tôle. Ca fait mal au cœur. En continuant un peu sur la Pure plage, on finit par tomber sur Sam et Annaëlle, en balade eux aussi, en compagnie de Junior, le fils de leur famille. Avec Anna, on tente un petit bain, mais il y a énormément de vent aujourd’hui, les vagues sont énormes (même si brisées par la digue), et surtout il ne fait pas super chaud. Les pieds dans l’eau suffiront. On repart de la plage, il commence à pleuvoir. Au début, un petit crachin digne d’une météo bretonne, mais la pluie s’intensifie. Evidemment, sur la moto, c’est moyennement agréable. On s’arrête quelque part, et on se réfugie sous un petit auvent. Emmanuel en profite pour me faire goûter le souchet. Alors oui, oui, souchet est le mot français, c’est juste un truc que je n’ai jamais vu en France, c’est comme un petit fruit séché. Ca se mâche, le goût n’est pas mauvais, sucré. Par contre, après c’est un peu étrange. Je mâche, je mâche, je mâche, mais je n’arrive pas à déglutir ce truc, c’est sec, plein de fibres. Je regarde Emmanuel avec une grimace qui me dit « Ah mais il faut cracher le reste ! ». Haha ça faisait trois bonnes minutes que j’essayais d’avaler ce truc. Donc en fait, une fois que tu l’as bien mâchouillé et que tu en as extrait le truc sucré, tu peux cracher le reste. En bonne Française qui se respecte, je déteste cracher devant quelqu’un, surtout dans la rue, par terre. Mais c’est ça où m’étrangler avec le reste du souchet. Je crache donc mes bouts de souchet mâchouillé. La pluie finit par se dissiper, on reprend la route. On n’a pas fait 500 mètres qu’on est témoins d’un sérieux accident. Deux motos se percutent, les conducteurs tombent et une troisième vient percuter le tas de ferraille et les deux hommes à terre. Il y a des morceaux de motos qui ont volé un peu partout. L’un d’entre eux se relève, le deuxième reste sur la chaussée, sans casque et il ne bouge pas… Emmanuel s’est arrêté un peu plus loin, discute avec les badauds autour, je suis littéralement horrifiée surtout quand je vois les gens s’amasser et commencer à essayer de déplacer le blessé. Malheur, il ne faut jamais faire ça… Je demande à Emmanuel s’il y a quelqu’un à appeler, quelque chose à faire, mais il essaie de me rassurer en me disant que la police et les secours vont venir (ce dont je doute quelque peu mais admettons). Je dois être littéralement livide, encore plus « Yovo » que d’habitude. On finit par repartir, je suis encore plus flippée qu’à l’ordinaire. J’ai appris par Anna qu’Emmanuel avait perdu un de ses meilleurs amis il y a quelques semaines, victime d’un accident de moto aussi. Non seulement la circulation ici est démente, chaotique, les gens roulent sans casque, bras et jambes nus. Ils roulent relativement vite (même si la chaussée est hérissée de dos d’ânes pour tenter de faire ralentir les gens). Et comme si ça ne suffisait pas, lorsqu’il y a un accident, les secours sont lents à venir, la médecine n’est évidemment pas optimale et il faut payer ses soins. Une combinaison épouvantable…
Une fois de plus, je suis vraiment navrée que ce journal prenne des accents dramatiques, mais comme vous l’avez compris, je n’écris pas seulement pour faire rire ou sourire, mais aussi pour rendre compte de ce que je vis, de mon expérience dans un pays, qu’elle soit positive ou négative. Je ne prétends ni à la parole d’évangile, ni à l’exhaustivité, je rapporte simplement ma propre expérience, mes anecdotes et ce dont je suis témoin.

Je suis donc rentrée hier soir un chouïa secouée, j’avais froid parce qu’il avait plu et que la température avait chuté. J’ai mangé et je suis allée me coucher sans demander mon reste.

Je me suis réveillée un peu difficilement ce matin, la nuit avait été assez désagréable, j’ai eu froid, je me suis réveillée plusieurs fois. Je me lève un peu dans le coaltar, je vais me laver, l’eau me paraît encore plus froide que d’habitude. Petit déjeuner et nous mettons le cap sur le Centre médico-social de Djidjolé (notre quartier), nous attendons Martin et Salomé, rencontrons la directrice qui me semble énergique. Lorsque beaucoup de femmes sont arrivées, leur enfant sur les genoux pour les faire vacciner, nous commençons la sensibilisation. J’ai encore du mal à émerger mais je ne dois pas me reposer sur mes lauriers, tout le monde m’attend, me regarde et va m’écouter, donc je me secoue un peu et commence mon speech. Je prends la parole devant tout le monde, et la directrice de l’hôpital traduit en éwé. Plusieurs femmes posent des questions, ce qui prouve une fois de plus que la démarche de la déclaration à l’état-civil n’est pas automatique, n’est pas acquise pour tout le monde, et que notre campagne de sensibilisation n’est pas inutile. Après avoir tenté de répondre le plus précisément possible aux questions de toutes les femmes, nous remercions la directrice pour son accueil et son aide, et nous retournons au bureau. Ma petite Elisabeth ne tarde pas à faire son apparition, un biscuit à la main et passera un bon moment sur mes genoux à jouer avec mon téléphone. Pour la première fois, j’entends le son de sa voix car Madame Brigitte lui parle en éwé, et la petite lui répond. Je pense qu’elle comprend un peu le français mais elle ne le parle pas, donc je ne l’avais jamais entendu parler. En partant, madame Brigitte suggère que Salomé et moi (Aleysha est partie en ville renouveler son visa) allions rendre visite aux habitants d’une maison juste à côté du bureau et donner ce qu’il nous reste de biscuits aux enfants. On s’exécute. A peine ai-je franchi la porte de la « maison » qu’une des enfants se met à hurler, à pleurer et à tenter de s’enfuir comme si j’étais le diable en personne. Sa maman, de toute évidence gênée et confuse, tentait de la forcer à venir près de moi, ce qui ne faisait que redoubler ses cris. Horriblement mal à l’aise, je ne savais pas quoi faire, ne voulant pas traumatiser davantage cette gamine. Je ne sais pas si elle n’avait jamais vu de Blanc, si elle m’a prise pour un alien débarqué d’une autre planète, ou si elle avait juste peur des Blancs pour une raison X ou Y. En tout cas, c’est bien la première fois qu’une telle chose se passe. D’habitude, les enfants sont au contraire très attirés par nous, ils nous font des signes, chantent la chanson du Yovo, nous font des câlins dès qu’ils en ont l’occasion. Ca m’a fait un peu de peine évidemment, mais je ne savais pas quoi faire d’autre que de donner un biscuit à cette petite (qui l’a tout de même pris haha), et juste ne pas insister davantage. Nous sommes donc rentrées au bureau où j’ai passé le restant de la mâtinée à discuter de tout et de rien avec Martin et Salomé. Salomé a eu beau rire quand je lui ai demandé si elle croyait aux esprits et aux envoûtements, elle m’a tout de même répondu « Oui, en Afrique il y a des esprits ». S’ils continuent tous comme ça, ils vont finir par me mettre le doute.
Je suis ensuite rentrée retrouver Aleysha qui avait finalement obtenu le prolongement de son visa. Sur le chemin entre le bureau et la maison (trois minutes à pied en marchant au rythme togolais), j’ai été saluée par les sourires des enfants, des signes de la main au son, non plus seulement du traditionnel « Yovo » mais de « Tata Laurianne » puisque plusieurs de ces enfants étaient du groupe avec lequel nous travaillons le vendredi.
Je suis rentrée déjeuner, et nous sommes reparties vers 14h pour rejoindre le bureau de Projects Abroad pour l’activité du mardi après-midi. Au programme d’aujourd’hui, séance de peinture dans un orphelinat. Quand je dis peinture, c’est peinture de mur au rouleau, rien d’artistique là-dedans (et encore moins artistique que prévu vu le résultat…). Nous arrivons donc à l’orphelinat, on nous prépare la peinture, distribue les rouleaux. Anna, Annaëlle, Tiffanie, Mar et moi attaquons une chambre. La chambre est peinte initialement dans un bleu assez vif, le mur est sale, craquelé de partout, et trônent au milieu de la pièce des lits en métal avec des matelas par-dessus, le tout étant extrêmement lourd et très difficile à déplacer. On essaie de bouger un peu tout ça pour se dégager de la place, on attaque un mur à l’aide de nos rouleaux. Le résultat est, soyons honnêtes, catastrophique. Il aurait fallu d’abord nettoyer le mur, le réparer, le poncer, mettre un enduit et ensuite le repeindre avec une peinture digne de ce nom. Inutile de vous dire que rien de tout ça n’est prévu, on n’a même pas une bâche pour protéger le sol ou les lits. Verdict, environ deux heures plus tard, j’ai honte de ce qu’on a fait, l’impression d’avoir purement et simplement empiré la situation. Maintenant le mur est blanchâtre, bleuâtre et paraît encore plus sale qu’il ne l’était initialement, toujours autant de fissures, mais en plus le sol est recouvert de coulures de peinture et même les lits et matelas sont tâchés. Je n’aime pas faire mal les choses, et même si nous sommes au Togo où certaines choses ne semblent pas avoir la même importance qu’en France, je considère que cela n’est pas une raison pour repartir en laissant un travail ni fait ni à faire, une chambre dans un état encore plus déplorable que lorsque nous sommes arrivés à de pauvres mômes qui sont orphelins et vivent dans des conditions déjà difficiles. Bref, je suis ressortie de là avec un sentiment d’inachevé. Nous avons pris quelques photos, fait des câlins aux gamins, joué un peu avec eux, ce qui semblait être finalement le plus beau cadeau que nous puissions leur faire, et pas venir barbouiller un mur comme des sagouins. Une chose est sûre, vous ne m’embaucheriez pas pour repeindre votre appartement. Nous sommes ensuite rentrées en taxi-voiture, direction Breakfast to Breakfast, un restaurant où certains volontaires ont leurs habitudes. J’ai réussi à choper un wifi pas trop dégueulasse, nous avons bu un verre pour dire au revoir à Isabel qui retourne cette nuit en Ecosse. Je suis ensuite rentrée en moto avec Emmanuel, que je dois voir demain pour ma première leçon de conduite moto. Oui, oui, vous aussi vous vous dites qu’il est complètement fou ?  

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