lundi 5 septembre 2016

Yovo in Togo (#6) : Moto et canne à sucre

Mercredi 17 août 2016

Ce matin, réveil encore un peu difficile. Je crois que je suis enfin en train de m’adapter aux deux heures de décalage horaire et du coup, devoir me lever à 6h du matin tous les jours devient presque aussi difficile qu’à Paris. Un peu plus et je n’entendrais plus les coqs et mon piaf. Bref, toilette, je rince mes fringues d’hier que j’ai laissé tremper toute la nuit, mais la peinture n’est pas vraiment partie. Petit déjeuner et on part au bureau. On est censées décoller à 8h30 direction le village de Davié, à environ 30 kilomètres de Lomé. Bon, à 9h15 on était encore à Lomé… Mais on a fini par lever le camp. Aleysha, Salomé, madame Brigitte et moi dans le taxi, conduit par un chauffeur évidemment. On arrive finalement à Davié, où on apprend que le gongonneur s’est planté et a gongonné pour 8h au lieu de 10… Il sera payé quand même, rassurez-vous. Petite parenthèse sur le gongonneur. C’est un mot que j’ai appris ici et je ne pense pas qu’il existe en France (s’il existe, faites-moi signe). En gros, c’est un mec qui frappe un instrument quelconque (probablement un gong ou un truc du même style) pour avertir la population d’un village ou d’un quartier d’un événement quelconque. C’est le cousin de l’événement Facebook, en plus traditionnel. Inutile de vous dire que la première fois qu’on m’a dit qu’il fallait payer le gongonneur, j’ai mis un moment à comprendre de quoi il s’agissait. Bref, ce matin, erreur de gongonnage, mais à 10h il y a encore une quinzaine de personnes dans le tribunal coutumier de Davié. Je déconne pas, le tribunal coutumier, c’est écrit sur la porte. On rencontre le chef du canton, le « leader d’opinion » (en gros, un mec qui parle éwé et français et a une certaine influence sur les villageois), l’officier d’état-civil, etc. On entre dans le tribunal, on siège à la place des magistrats, le leader d’opinion commence à expliquer pourquoi on est là. Puis madame Brigitte prend la parole, et se lance dans une sorte de one-woman show que je sentais venir mais avec encore plus de talent que je n’aurais cru. Puis c’est mon tour, Aleysha ayant refusé de prendre la parole en français devant tout le monde (ce que je peux comprendre). J’explique donc le pourquoi de notre venue, l’importance des actes de naissance, la démarche à suivre, etc. Au fur et à mesure, le leader d’opinion traduit. Je termine mon speech par un « Akpélo » (merci en éwé) qui fait sourire toute l’assistance comme un seul homme et me vaut autant d’applaudissements que madame Brigitte. Contre toute attente, certains villageois comprennent parfaitement le français, je le vois dans leurs yeux pendant que je parle. Madame Brigitte et le leader d’opinion reprennent de nouveau la parole, répondent aux questions des villageois, etc. On est chaleureusement remerciées. On quitte le village, un peu plus loin, on va visiter une école dans laquelle ASFEEN intervient parfois pour des distributions de matériel scolaire. Peut-on réellement parler d’école quand il n’y a pas de murs, pas de tables, pas de chaises et qu’il y a des trous dans le toit… En tout cas, c’est là qu’ont lieu les cours des CP et CE1. Plus loin le bâtiment des plus grands. Sur le tableau, les restants d’un cours de grammaire française. L’accord du participe passé avec l’auxiliaire avoir, pas le truc le plus simple. On rentre ensuite à Lomé, la route est encombrée par des camions chargés à n’en plus pouvoir, avec à leurs sommets de jeunes hommes assis ou parfois endormis sur le chargement.

(…) L’après-midi, Emmanuel est donc venu me chercher pour mon premier cours de moto. On est allés sur le terrain d’un lycée technique, là où c’est plat, où il y a de la place et pas trop de monde. Emmanuel m’explique le fonctionnement de la moto, c’est mille fois plus compliqué que je n’aurais cru, surtout qu’il y a la moitié des trucs qui ne fonctionnent plus. Le démarreur est mort, il faut démarrer la moto avec le starter (je n’ai jamais réussi…), les clignotants ne fonctionnent plus depuis belle lurette, le compteur non plus. Bref, l’embrayage, l’accélérateur et le frein fonctionnent encore, alléluia, je tente de démarrer le truc. Inutile de vous dire qu’il est inenvisageable qu’Emmanuel lâche le guidon, ni ne me laisse manœuvrer la chose toute seule, je tiens à ma vie, et je ne veux pas lui fusiller sa bécane (qui est, je le rappelle, son outil de travail). Bref, on fait quelques tours, je me serais très probablement pris un arbre s’il n’avait pas parfois redressé le guidon, mais jusqu’à maintenant, pas d’accident à déplorer. Je lui dis ensuite que je voudrais acheter une peluche pour la petite Elisabeth, direction donc le marché d’Adidogomé. On repère un stand de jouets de seconde main (vu l’état de certains, probablement de dixième main…). Nous voilà à genoux en train de farfouiller dans les nounours, tous plus sales et amochés les uns que les autres.  Ca me fait rire de voir dans le tas des peluches Diddl que je collectionnais quand j’avais environ 12 ans. Je finis par dégoter une sorte de cheval pas abîmé, un peu sale mais ça devrait pouvoir se nettoyer facilement. Emmanuel me négocie ça pour 200 francs (environ 30 centimes d’euros…). Je repars avec mon petit cheval. Un peu plus loin, une dame vend des cannes à sucre. C’est l’occasion de goûter. Je laisse Emmanuel négocier, couper les cannes à sucre avec un genre de machette (le truc est vendu tel quel, donc ça doit faire environ 1,20 mètre de haut), couper une corde avec ses dents pour attacher les morceaux de canne à sucre, et on repart en moto, les cannes à sucre en équilibre, le nounours sur mes genoux. A ce rythme là, j’embarque un mouton sur la moto avant la fin du séjour. N’ayant qu’un billet de 10 000 francs, je dois faire de la monnaie car personne ne l’acceptera jamais surtout pour deux trois fruits que je voudrais acheter. Emmanuel m’emmène chez ses amis de la station-service. J’ai ma monnaie, on repart à la recherche de caramboles que j’ai vues ce matin. 500 mètres plus loin, Emmanuel s’arrête pour acheter des chips de banane plantain à une dame et me faire goûter. Il ouvre le paquet et en bon Togolais qui se respecte, balance le morceau de plastique par terre. Je tente de lui expliquer les bienfaits des poubelles et du recyclage. Finalement, on arrive vers le bureau où je travaille, je retrouve ma petite dame qui vend les caramboles. On en achète deux, elle me demande si je veux aussi un corossol, mais je n’ai jamais goûté. Elle en ouvre un, je goûte, c’est plutôt bon, va pour le corossol. Quand j’ai voulu le lui payer, elle m’en a fait cadeau. Une fois de plus, mon « Akpélo Mama » a fait sourire tout le monde. Emmanuel me redépose devant chez moi, je demande à Prudence un couteau. Prudence revient avec un couteau qui doit faire la taille de mon avant-bras. Emmanuel commence à couper la canne à sucre. Clairement, je n’aurais jamais réussi à le faire moi-même. Aleysha nous rejoint mais elle n’aime pas la canne à sucre. Je goûte pour la première fois, c’est comme un paquet de foin rempli d’eau sucrée. Il faut une fois de plus mâchouiller, extraire toute l’eau des fibres et ensuite tu peux cracher le reste. Décidément, il faut cracher la moitié de tout ce que tu manges ici. On mange un des trois morceaux de canne à sucre. Je fais cadeau des autres à Prudence et à Loulou. Quand je les verrai déguster leurs morceaux de canne à sucre devant la télévision, ça me fait plaisir. Je manque m’étrangler une demi-douzaine de fois avec les fibres qui me tombent dans la gorge, mais c’est vachement bon. Quand on a fini, il y a un joli tapis d’écorces de canne à sucre et de morceaux de canne à sucre crachouillés à nos pieds. Emmanuel, qui semble avoir été plus réceptif que prévu à mon sermon écolo, ramasse les morceaux de canne à sucre et on utilise le sac plastique des chips de bananes pour les jeter. Je les mettrai dans la poubelle de la maison, histoire d’être sûre. Je remercie Emmanuel qui refuse la moitié de l’argent que je voulais lui donner (je précise qu’il a payé la moitié des trucs qu’on a acheté car je n’avais pas la monnaie, et payer 100 francs avec un billet de 1 000, c’est quasi impossible ici). Je dîne avec Aleysha et en guise de dessert, je finis mon corossol, qui est vraiment délicieux. Grande séance de papotage avec Aleysha, qui me prête des fringues pour le restant de la semaine car les miennes sont sales à faire peur et dégagent une odeur à décimer une meute de chacals, et on ne sait pas encore quand la dame de la lessive va venir.

Vendredi 19 août 2016

Hier, je suis rentrée un peu tard et j’étais trop claquée pour vous raconter ma journée. Hier matin, on n’a rien fait de spécial au bureau. On devait initialement aller au tribunal, sauf que la voiture de madame Brigitte n’était pas disponible, que ça nous faisait suer de payer un taxi alors qu’on n’était même pas sûres qu’il y ait un procès. Et de plus, on devait être rentrées pour 11h pour aller déjeuner et être à 13h au marché. Bref, on est restées à papoter, j’en ai profité pour terminer de traduire l’article de Becky sur les droits des femmes en prison au Togo et on est rentrées déjeuner. Au menu, plâtrée de riz avec la sauce rouge. Aleysha, une fois de plus, a mangé à peine un cinquième du plat et j’ai mangé le reste. « Mais où est-ce que tu mets tout ce que tu manges ? ». On retourne ensuite au bureau, et on part à pied direction le marché de Gakli (ou Djidjolé, c’est le même). On arrive, il semblerait que tout le monde ait oublié que nous devions venir aujourd’hui. Personne n’a gongonné, la présidente a oublié de prévenir les femmes. On amène quelques bancs sous la halle centrale du marché, le reste des gens s’assoit sur un muret. D’une dizaine de femmes, on passe rapidement à une vingtaine, quelques jeunes hommes également, les enfants accourent dès qu’ils aperçoivent Yovo, je finis même par faire mon speech avec un chien couché quasi à mes pieds. Salomé, ma collègue, traduit au fur et à mesure. Une fois de plus, les femmes posent des questions. Beaucoup de gens ont des problèmes concernant leurs actes de naissance. Pour en avoir discuté avec Emmanuel, j’ai appris avec horreur que lui aussi avait un problème. Il a fait son acte de naissance, malheureusement, la personne a commis une erreur et lorsqu’il a voulu demander la nationalité, on lui a dit que son acte de naissance n’était pas valable à cause de l’erreur. Rien que pour corriger l’erreur, il faudrait qu’il paie 15 000 francs… Bref, on répond aux questions des gens. Une fois de plus, les gens ont l’air contents de notre démarche. Un des jeunes hommes me serre la main avec chaleur en me disant « Akpé Yovo, akpé ». On colle ensuite l’affiche sur un des poteaux de la halle centrale. Martin colle ça avec une sorte de pâte que Salomé mangeait la dernière fois. C’est un peu dégueu à faire mais ça colle plutôt bien. On rentre ensuite à la maison, Aleysha et moi décidons d’aller faire un tour au bureau de Projects Abroad. On a besoin du wifi, car je voudrais mettre en ligne la suite de ce journal et aussi montrer à Mar la traduction que j’ai faite de l’article de Becky. On appelle donc Aményo et Emmanuel, et en route. Au bureau, je montre donc ma traduction à Mar, à Becky puisqu’elle est là. Je discute ensuite avec Emmanuel et Koffi (un autre chauffeur de taxi-moto, celui qui conduit Diana tous les matins à son stage). Koffi a organisé dimanche matin une « compétition » de course sur la plage. « Ce sera les Noirs contre les Blancs, et il faut qu’on vous gagne ». Je lui dis en riant que ce n’est pas une partie d’échecs et que de toutes façons, la victoire leur est assurée avant même d’avoir commencé, puisqu’on est une majorité de filles et que personnellement, je ne suis pas du tout sportive. Tenez-vous bien, ils vont me faire lever aux aurores dimanche matin pour aller courir… On aura tout vu. Bref, on rentre ensuite à la maison dîner (omelette aux poivrons et bananes plantain frites, j’embrasse Loulou avant de partir tellement c’était bon), et on repart direction un bar que je ne connais pas, pour prendre un verre avec les autres volontaires. J’en profite pour discuter avec Diana, Annaëlle, Sam et Tiffanie. Papi, le chauffeur de Tiffanie, nous explique des choses sur la culture togolaise (pisteurs, tam-tam, etc.). Je rentre ensuite avec Emmanuel après une petite séance de motocross nocturne (je déconne, c’est juste l’état de la route qui me fait dire ça).

PS : Petite anecdote de vocabulaire supplémentaire. Hier soir, au bar, au moment de partir, je vois Emmanuel toujours assis. Je lui demande si on peut partir ou s’il attend quelque chose. Il me répond « Oh oui, j’attends mon reliquat. » Hum… c’est-à-dire ? « Ta monnaie c’est ça ? ». Et en fait, en cherchant sur Internet, je viens de découvrir que le mot « reliquat » a aussi un sens financier et pas seulement le sens littéraire qu’on lui donne généralement en France. En rentrant, je vous dirai que j’ai payé le gongonneur mais que j’attends mon reliquat. 

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