Mercredi 17 août 2016
Ce
matin, réveil encore un peu difficile. Je crois que je suis enfin en train de
m’adapter aux deux heures de décalage horaire et du coup, devoir me lever à 6h
du matin tous les jours devient presque aussi difficile qu’à Paris. Un peu plus
et je n’entendrais plus les coqs et mon piaf. Bref, toilette, je rince mes
fringues d’hier que j’ai laissé tremper toute la nuit, mais la peinture n’est
pas vraiment partie. Petit déjeuner et on part au bureau. On est censées
décoller à 8h30 direction le village de Davié, à environ 30 kilomètres de Lomé.
Bon, à 9h15 on était encore à Lomé… Mais on a fini par lever le camp. Aleysha,
Salomé, madame Brigitte et moi dans le taxi, conduit par un chauffeur
évidemment. On arrive finalement à Davié, où on apprend que le gongonneur s’est
planté et a gongonné pour 8h au lieu de 10… Il sera payé quand même,
rassurez-vous. Petite parenthèse sur le gongonneur. C’est un mot que j’ai
appris ici et je ne pense pas qu’il existe en France (s’il existe, faites-moi
signe). En gros, c’est un mec qui frappe un instrument quelconque (probablement
un gong ou un truc du même style) pour avertir la population d’un village ou
d’un quartier d’un événement quelconque. C’est le cousin de l’événement Facebook,
en plus traditionnel. Inutile de vous dire que la première fois qu’on m’a dit
qu’il fallait payer le gongonneur, j’ai mis un moment à comprendre de quoi il
s’agissait. Bref, ce matin, erreur de gongonnage, mais à 10h il y a encore une
quinzaine de personnes dans le tribunal coutumier de Davié. Je déconne pas, le
tribunal coutumier, c’est écrit sur la porte. On rencontre le chef du canton,
le « leader d’opinion » (en gros, un mec qui parle éwé et français et
a une certaine influence sur les villageois), l’officier d’état-civil, etc. On
entre dans le tribunal, on siège à la place des magistrats, le leader d’opinion
commence à expliquer pourquoi on est là. Puis madame Brigitte prend la parole,
et se lance dans une sorte de one-woman show que je sentais venir mais avec
encore plus de talent que je n’aurais cru. Puis c’est mon tour, Aleysha ayant
refusé de prendre la parole en français devant tout le monde (ce que je peux
comprendre). J’explique donc le pourquoi de notre venue, l’importance des actes
de naissance, la démarche à suivre, etc. Au fur et à mesure, le leader
d’opinion traduit. Je termine mon speech par un « Akpélo » (merci en
éwé) qui fait sourire toute l’assistance comme un seul homme et me vaut autant
d’applaudissements que madame Brigitte. Contre toute attente, certains
villageois comprennent parfaitement le français, je le vois dans leurs yeux
pendant que je parle. Madame Brigitte et le leader d’opinion reprennent de
nouveau la parole, répondent aux questions des villageois, etc. On est
chaleureusement remerciées. On quitte le village, un peu plus loin, on va
visiter une école dans laquelle ASFEEN intervient parfois pour des
distributions de matériel scolaire. Peut-on réellement parler d’école quand il
n’y a pas de murs, pas de tables, pas de chaises et qu’il y a des trous dans le
toit… En tout cas, c’est là qu’ont lieu les cours des CP et CE1. Plus loin le
bâtiment des plus grands. Sur le tableau, les restants d’un cours de grammaire
française. L’accord du participe passé avec l’auxiliaire avoir, pas le truc le
plus simple. On rentre ensuite à Lomé, la route est encombrée par des camions
chargés à n’en plus pouvoir, avec à leurs sommets de jeunes hommes assis ou
parfois endormis sur le chargement.
(…)
L’après-midi, Emmanuel est donc venu me chercher pour mon premier cours de
moto. On est allés sur le terrain d’un lycée technique, là où c’est plat, où il
y a de la place et pas trop de monde. Emmanuel m’explique le fonctionnement de
la moto, c’est mille fois plus compliqué que je n’aurais cru, surtout qu’il y a
la moitié des trucs qui ne fonctionnent plus. Le démarreur est mort, il faut
démarrer la moto avec le starter (je n’ai jamais réussi…), les clignotants ne
fonctionnent plus depuis belle lurette, le compteur non plus. Bref,
l’embrayage, l’accélérateur et le frein fonctionnent encore, alléluia, je tente
de démarrer le truc. Inutile de vous dire qu’il est inenvisageable qu’Emmanuel
lâche le guidon, ni ne me laisse manœuvrer la chose toute seule, je tiens à ma
vie, et je ne veux pas lui fusiller sa bécane (qui est, je le rappelle, son
outil de travail). Bref, on fait quelques tours, je me serais très probablement
pris un arbre s’il n’avait pas parfois redressé le guidon, mais jusqu’à
maintenant, pas d’accident à déplorer. Je lui dis ensuite que je voudrais
acheter une peluche pour la petite Elisabeth, direction donc le marché
d’Adidogomé. On repère un stand de jouets de seconde main (vu l’état de
certains, probablement de dixième main…). Nous voilà à genoux en train de
farfouiller dans les nounours, tous plus sales et amochés les uns que les
autres. Ca me fait rire de voir dans le
tas des peluches Diddl que je collectionnais quand j’avais environ 12 ans. Je
finis par dégoter une sorte de cheval pas abîmé, un peu sale mais ça devrait
pouvoir se nettoyer facilement. Emmanuel me négocie ça pour 200 francs (environ
30 centimes d’euros…). Je repars avec mon petit cheval. Un peu plus loin, une
dame vend des cannes à sucre. C’est l’occasion de goûter. Je laisse Emmanuel
négocier, couper les cannes à sucre avec un genre de machette (le truc est
vendu tel quel, donc ça doit faire environ 1,20 mètre de haut), couper une
corde avec ses dents pour attacher les morceaux de canne à sucre, et on repart
en moto, les cannes à sucre en équilibre, le nounours sur mes genoux. A ce
rythme là, j’embarque un mouton sur la moto avant la fin du séjour. N’ayant
qu’un billet de 10 000 francs, je dois faire de la monnaie car personne ne
l’acceptera jamais surtout pour deux trois fruits que je voudrais acheter.
Emmanuel m’emmène chez ses amis de la station-service. J’ai ma monnaie, on
repart à la recherche de caramboles que j’ai vues ce matin. 500 mètres plus
loin, Emmanuel s’arrête pour acheter des chips de banane plantain à une dame et
me faire goûter. Il ouvre le paquet et en bon Togolais qui se respecte, balance
le morceau de plastique par terre. Je tente de lui expliquer les bienfaits des
poubelles et du recyclage. Finalement, on arrive vers le bureau où je
travaille, je retrouve ma petite dame qui vend les caramboles. On en achète
deux, elle me demande si je veux aussi un corossol, mais je n’ai jamais goûté.
Elle en ouvre un, je goûte, c’est plutôt bon, va pour le corossol. Quand j’ai
voulu le lui payer, elle m’en a fait cadeau. Une fois de plus, mon
« Akpélo Mama » a fait sourire tout le monde. Emmanuel me redépose
devant chez moi, je demande à Prudence un couteau. Prudence revient avec un
couteau qui doit faire la taille de mon avant-bras. Emmanuel commence à couper
la canne à sucre. Clairement, je n’aurais jamais réussi à le faire moi-même.
Aleysha nous rejoint mais elle n’aime pas la canne à sucre. Je goûte pour la
première fois, c’est comme un paquet de foin rempli d’eau sucrée. Il faut une
fois de plus mâchouiller, extraire toute l’eau des fibres et ensuite tu peux
cracher le reste. Décidément, il faut cracher la moitié de tout ce que tu
manges ici. On mange un des trois morceaux de canne à sucre. Je fais cadeau des
autres à Prudence et à Loulou. Quand je les verrai déguster leurs morceaux de
canne à sucre devant la télévision, ça me fait plaisir. Je manque m’étrangler
une demi-douzaine de fois avec les fibres qui me tombent dans la gorge, mais
c’est vachement bon. Quand on a fini, il y a un joli tapis d’écorces de canne à
sucre et de morceaux de canne à sucre crachouillés à nos pieds. Emmanuel, qui
semble avoir été plus réceptif que prévu à mon sermon écolo, ramasse les
morceaux de canne à sucre et on utilise le sac plastique des chips de bananes
pour les jeter. Je les mettrai dans la poubelle de la maison, histoire d’être
sûre. Je remercie Emmanuel qui refuse la moitié de l’argent que je voulais lui
donner (je précise qu’il a payé la moitié des trucs qu’on a acheté car je
n’avais pas la monnaie, et payer 100 francs avec un billet de 1 000, c’est
quasi impossible ici). Je dîne avec Aleysha et en guise de dessert, je finis
mon corossol, qui est vraiment délicieux. Grande séance de papotage avec
Aleysha, qui me prête des fringues pour le restant de la semaine car les
miennes sont sales à faire peur et dégagent une odeur à décimer une meute de
chacals, et on ne sait pas encore quand la dame de la lessive va venir.
Vendredi 19 août 2016
Hier,
je suis rentrée un peu tard et j’étais trop claquée pour vous raconter ma
journée. Hier matin, on n’a rien fait de spécial au bureau. On devait
initialement aller au tribunal, sauf que la voiture de madame Brigitte n’était
pas disponible, que ça nous faisait suer de payer un taxi alors qu’on n’était
même pas sûres qu’il y ait un procès. Et de plus, on devait être rentrées pour
11h pour aller déjeuner et être à 13h au marché. Bref, on est restées à
papoter, j’en ai profité pour terminer de traduire l’article de Becky sur les
droits des femmes en prison au Togo et on est rentrées déjeuner. Au menu,
plâtrée de riz avec la sauce rouge. Aleysha, une fois de plus, a mangé à peine
un cinquième du plat et j’ai mangé le reste. « Mais où est-ce que tu mets
tout ce que tu manges ? ». On retourne ensuite au bureau, et on part
à pied direction le marché de Gakli (ou Djidjolé, c’est le même). On arrive, il
semblerait que tout le monde ait oublié que nous devions venir aujourd’hui.
Personne n’a gongonné, la présidente a oublié de prévenir les femmes. On amène
quelques bancs sous la halle centrale du marché, le reste des gens s’assoit sur
un muret. D’une dizaine de femmes, on passe rapidement à une vingtaine,
quelques jeunes hommes également, les enfants accourent dès qu’ils aperçoivent
Yovo, je finis même par faire mon speech avec un chien couché quasi à mes
pieds. Salomé, ma collègue, traduit au fur et à mesure. Une fois de plus, les
femmes posent des questions. Beaucoup de gens ont des problèmes concernant
leurs actes de naissance. Pour en avoir discuté avec Emmanuel, j’ai appris avec
horreur que lui aussi avait un problème. Il a fait son acte de naissance,
malheureusement, la personne a commis une erreur et lorsqu’il a voulu demander
la nationalité, on lui a dit que son acte de naissance n’était pas valable à
cause de l’erreur. Rien que pour corriger l’erreur, il faudrait qu’il paie 15
000 francs… Bref, on répond aux questions des gens. Une fois de plus, les gens
ont l’air contents de notre démarche. Un des jeunes hommes me serre la main
avec chaleur en me disant « Akpé Yovo, akpé ». On colle ensuite l’affiche
sur un des poteaux de la halle centrale. Martin colle ça avec une sorte de pâte
que Salomé mangeait la dernière fois. C’est un peu dégueu à faire mais ça colle
plutôt bien. On rentre ensuite à la maison, Aleysha et moi décidons d’aller
faire un tour au bureau de Projects Abroad. On a besoin du wifi, car je
voudrais mettre en ligne la suite de ce journal et aussi montrer à Mar la
traduction que j’ai faite de l’article de Becky. On appelle donc Aményo et
Emmanuel, et en route. Au bureau, je montre donc ma traduction à Mar, à Becky
puisqu’elle est là. Je discute ensuite avec Emmanuel et Koffi (un autre
chauffeur de taxi-moto, celui qui conduit Diana tous les matins à son stage).
Koffi a organisé dimanche matin une « compétition » de course sur la
plage. « Ce sera les Noirs contre les Blancs, et il faut qu’on vous
gagne ». Je lui dis en riant que ce n’est pas une partie d’échecs et que
de toutes façons, la victoire leur est assurée avant même d’avoir commencé,
puisqu’on est une majorité de filles et que personnellement, je ne suis pas du
tout sportive. Tenez-vous bien, ils vont me faire lever aux aurores dimanche
matin pour aller courir… On aura tout vu. Bref, on rentre ensuite à la maison
dîner (omelette aux poivrons et bananes plantain frites, j’embrasse Loulou
avant de partir tellement c’était bon), et on repart direction un bar que je ne
connais pas, pour prendre un verre avec les autres volontaires. J’en profite
pour discuter avec Diana, Annaëlle, Sam et Tiffanie. Papi, le chauffeur de Tiffanie,
nous explique des choses sur la culture togolaise (pisteurs, tam-tam, etc.). Je
rentre ensuite avec Emmanuel après une petite séance de motocross nocturne (je
déconne, c’est juste l’état de la route qui me fait dire ça).
PS :
Petite anecdote de vocabulaire supplémentaire. Hier soir, au bar, au moment de
partir, je vois Emmanuel toujours assis. Je lui demande si on peut partir ou
s’il attend quelque chose. Il me répond « Oh oui, j’attends mon
reliquat. » Hum… c’est-à-dire ? « Ta monnaie c’est
ça ? ». Et en fait, en cherchant sur Internet, je viens de découvrir
que le mot « reliquat » a aussi un sens financier et pas seulement le
sens littéraire qu’on lui donne généralement en France. En rentrant, je vous
dirai que j’ai payé le gongonneur mais que j’attends mon reliquat.
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