Mardi 9 août 2016
Nous
sommes mardi matin, ça fait très exactement une semaine que j’ai posé le pied
sur le sol togolais pour la première fois. Hier, je suis allée travailler avec
Aleysha, on est allées rendre visite à AFEL, une autre association qui s’occupe
d’assister les gens dans les démarches de jugement supplétif (ça sert à obtenir
un acte de naissance pour un enfant quand ce dernier n’a pas été déclaré dans
les 45 jours qui suivent sa naissance). On a donc rencontré la directrice de
l’association et son assistante, Lucia, qui m’a semblé être une femme très
intéressante. La discussion avec elles était très instructive, et j’ai
notamment appris que les subventions données par l’Union Européenne sont malheureusement
souvent bloquées par les gouvernements qui les distribuent uniquement aux ONG
et associations qui les soutiennent, et pas aux autres. Voire ils ne les
distribuent tout simplement pas. Bref, je crois que le problème politique au
Togo demeure le problème principal et qu’il sera très difficile pour le pays de
se développer tant qu’ils n’auront pas à la tête de l’Etat des gens honnêtes et
de bonne volonté. Mais c’est malheureusement je crois le lot de beaucoup de
pays d’Afrique. On a ensuite peaufiné notre affiche, il ne nous reste plus qu’à
ajouter la photo d’un enfant tenant son acte de naissance avec fierté, et
l’affiche sera prête. On a ensuite beaucoup discuté avec Martin de plein de
trucs. Pour ce qui est de la suite du stage, j’ai malheureusement l’impression
qu’il va être difficile de mener à bien le projet que nous avions lancé, car il
faut obtenir des autorisations pour tout, elles sont longues à obtenir et le
gros du travail serait principalement à faire dans les villages puisqu’à Lomé,
la situation n’est pas si mauvaise. On a discuté hier après-midi avec Emmanuel,
le responsable des volontaires médicaux (pas mon chauffeur de taxi-moto préféré
qui lui aussi s’appelle Emmanuel), il nous a assuré que les sages-femmes
parlaient déjà aux mamans de ces démarches mais que celles-ci étaient parfois
négligentes. Je reste persuadée qu’une petite piqûre de rappel serait bénéfique
pour tout le monde mais il ne semblait pas de cet avis. Quand je vois en France
et partout en Europe, le nombre de fois qu’il faut expliquer les démarches aux
gens avant que ça ne rentre dans leur esprit, alors que nous avons pourtant
accès à toutes sortes d’informations, je me dis qu’ici, ce ne serait pas de
trop. Moi-même j’avoue ignorer totalement certaines démarches administratives,
donc une femme togolaise, parfois analphabète, qui a beaucoup de difficultés à
se déplacer, qui a du mal à nourrir sa famille, etc., je ne suis pas persuadée
qu’elle connaisse toutes la démarche de déclaration de naissance. Mais bon.
Emmanuel nous a tout de même proposé d’intervenir mercredi après-midi lors de
l’activité qu’il organise sur les maladies tropicales. C’est déjà pas mal.
L’idéal serait que nous puissions aller dans les villages les plus reculés,
mais ce ne sera probablement pas possible. Si je vois que rien ne peut aboutir,
je demanderai probablement si je peux changer d’association, ou alors
j’essaierai de trouver un autre projet sur lequel travailler mais le problème
risque d’être le même. Hier après-midi, après être rentrées, m’être jetée sur
le plat de riz et de lentilles que Loulou avait préparé, nous sommes allées
passer l’après-midi au bureau de Projects Abroad, où j’ai eu toutes les
difficultés du monde à accéder au wifi et à réussir à mettre la première partie
de ce journal en ligne. Tiffanie est malade, car dans un demi-sommeil, elle a
bu l’eau du robinet sans réfléchir et ses intestins n’ont pas trop kiffé. Je
suis comme d’habitude rentrée avec Emmanuel et Aleysha avec Aményo. On a dîné
de spaghettis au piment et je suis allée me coucher à 20h30 pour dormir jusqu’à
6h (si l’on excepte un petit réveil vers 02h30 car Komlan est rentré en faisant
un boucan du tonnerre).
Ce
matin, nous sommes parties au bureau, on ne savait pas exactement ce que nous
allions bien pouvoir faire. Et contre toute attente, pas mal de choses sont en
train de se débloquer, lentement mais j’espère sûrement. On a demandé à madame
Brigitte s’il était possible d’aller dans un village, on va essayer d’organiser
ça. On a essayé de dessiner un petit enfant pour l’affiche, mais vu mes
compétences en dessin, cela a été un échec cuisant. On est finalement partis
pour le marché de Totsi, pour essayer d’obtenir une autorisation pour faire de
la sensibilisation sur le marché. On nous envoie tout d’abord dans une première
petite pièce, où il y a deux femmes et deux hommes. Puis on nous dit qu’il faut
aller voir la présidente, les deux hommes nous accompagnent. On se retrouve
dans la boutique de tissus où Aleysha a acheté son pagne la semaine dernière.
On réexplique notre démarche. Ca n’a pas l’air possible, il faut aller voir la
direction pour pouvoir faire tous les marchés. On reformule un peu notre
demande, on est assis sur une sorte de banc entre les pièces de tissu.
Finalement, la situation se débloque et on nous autorise à intervenir jeudi à
partir de 13h sur le marché. Ils ont même l’air enthousiastes surtout la dame
qui nous serre la main avec un grand sourire. Avant de quitter le marché, on
retourne dire au revoir à la femme du frère de Martin et à la belle-maman. Au
moment où nous allons partir, une des dames de la première pièce me fait signe
d’approcher. Je retourne dans la pièce et elle me dit « Mais pourquoi vous
n’allez pas dans les villages ? Il faut aller dans les villages, moi dans
mon village par exemple, les gens souffrent aussi, les enfants, pas d’acte de
naissance, rien », « Quel est le nom de votre village
madame ? », « Ayakopé », « On ira madame ». L’espace
d’une demi-seconde j’ai l’impression d’être un homme politique en campagne, à
qui les gens demandent des choses, qui serrent des mains et tente de rassurer
la population. Quoi qu’il en soit, je suis bien décidée à insister auprès de
madame Brigitte pour que l’on essaie d’aller dans ce village.
(…)
Cet après-midi, nous avions l’activité de groupe organisée chaque mardi
après-midi par Projects Abroad. Au programme d’aujourd’hui, confection d’un
bracelet en perles. Si vous me connaissez un peu, vous savez à quel point j’ai
une sainte horreur des travaux manuels. Et contre toute attente, je me suis
laissée prendre au jeu, je me suis un peu appliquée et le résultat n’est pas
trop moche. J’ai fait connaissance avec les autres volontaires qui sont
arrivées cette semaine, dont une flopée de Français. Bastien est étudiant en
droit aussi et Anaelle va commencer sa première année de droit en septembre. Après
avoir fini mon bracelet, bu mon Youki Cocktail (une boisson d’ici qui en gros
ressemble à de l’Oasis pétillant) et discuté un peu avec tout le monde, je suis
rentrée en taxi-moto avec Emmanuel comme d’habitude. C’était la première fois
que je rentrais en taxi-moto de nuit et j’étais pas forcément super
enthousiaste à l’idée, mais tout s’est très bien passé. J’en profite toujours
pour discuter un peu avec Emmanuel, je
lui explique ce que je fais au stage, je lui pose des questions sur la
vie au Togo, la culture, etc. Aujourd’hui, on a parlé de son village et de sa
famille. Il est l’aîné d’une fratrie de huit enfants, son père avait trois
femmes, et d’après lui, il n’a pas tellement apprécié grandir dans cette
famille polygame, car ça cause beaucoup de problèmes et de disputes. En tout
cas, lui ne veut qu’une seule femme. Et je lui ai posé la question, ici la
polygamie ne semble pas être réservée aux familles musulmanes. On est donc
rentrées dîner avec Aleysha, salade d’avocats, de tomates, d’oignons et d’une
sorte de saucisson à l’ail. S’en est suivie une grande conversation sur toutes
sortes de sujets, et c’est aussi ce que j’attendais de cette expérience :
rencontrer des gens d’horizons différents, échanger, partager, et pour ça,
c’est génial !
Ah
oui, j’ai demandé à Martin pour les communautés juives, et non il n’y en a pas,
les enfants qui portent des prénoms que nous considérons comme associés au
judaïsme en France sont en fait des familles chrétiennes qui piochent les noms
de leurs enfants dans l’Ancien Testament. D’où Isaac, Israël, etc.
Jeudi 11 août 2016
Hier
soir, j’étais trop claquée pour vous raconter ma journée. Hier matin, nous
sommes donc parties travailler avec Aleysha. Il était prévu que nous allions
porter la demande d’autorisation au Centre médico-social de Djidjolé (mon
quartier à Lomé) et ensuite qu’on aille porter la demande d’autorisation à
la régie des marchés au marché central. On part en moto avec Martin et Aleysha
avec une autre moto. On arrive au CMS, la directrice n’est pas là mais on
laisse le document à la secrétaire qui promet de rappeler rapidement pour nous
donner une réponse. Elle aussi a l’air tout à fait en accord avec notre projet.
On rentre au bureau et quand on entre, on voit trois personnes attablées à
notre table de travail, une dame, un jeune homme et une jeune fille. Madame
Brigitte nous explique que la jeune fille (Audrey) va faire un stage avec nous.
Elle n’a rien à voir avec Projects Abroad, c’est juste une famille d’origine
togolaise, dont la mère et la fille vivent aux Etats-Unis et le fils à Paris. Madame
Brigitte nous dit qu’Audrey va venir avec nous à la régie des marchés. Pourquoi
pas, sauf que ce qu’il faut bien comprendre, c’est qu’Aleysha et moi avons déjà
du mal parfois à nous occuper toute la journée, que tout ici prend beaucoup de
temps. Je me rends rapidement compte qu’Audrey parle très mal le français, elle
ne le lit pas non plus et vu qu’elle n’articule pas quand elle parle (quand
elle parle !), même en anglais je ne la comprends pas. Sachant que Martin,
Salomé et madame Brigitte ne parlent pas anglais. Heureusement Aleysha est
écossaise, donc on devrait pouvoir s’en sortir. Quand j’apprends qu’elle a 14
ans et qu’elle est au lycée, je me demande bien l’intérêt pour elle de venir
faire ce genre de stage, surtout que d’après ce que sa mère nous a dit, elle
veut travailler avec les enfants, donc elle aurait plutôt dû se diriger vers un
orphelinat. Bref, ça a pris environ 35 minutes de plus pour savoir si elle
venait avec nous à la régie des marchés, pour savoir si on essayait de lui
trouver un casque ou pas (finalement non), pour qu’on trouve une moto
supplémentaire, etc., etc. On part donc à 3 motos en essayant de se suivre, ce
qui est particulièrement dangereux car mon chauffeur et celui d’Aleysha
n’avaient pas la moindre idée de où nous allions, ils devaient donc suivre
Martin et se suivre dans le trafic du centre-ville de Lomé, c’est vraiment pas
triste. J’ai vu ma dernière heure arriver une douzaine de fois. On a finalement
purement et simplement perdu Martin et nos chauffeurs ont dû demander aux
passants où était la régie des marchés. Après vingt bonnes minutes
supplémentaires, on a réussi à le retrouver. On a donc été déposer notre
demande à la régie des marchés, la directrice a été particulièrement
conciliante donc ça devrait pouvoir se faire. En rentrant, on a finalement
terminé notre affiche, puisqu’elle doit être prête pour demain. Il nous fallait
un enfant pour la photo, je suis donc allée demander à la maman de ma petite
protégée si elle acceptait qu’Elisa soit le visage de la campagne et elle a
gentiment accepté. Je reviens donc avec Elisabeth au bureau, on l’installe
devant le panneau blanc, je lui retire le jus d’ananas congelé qu’elle a dans
la main droite, et le chewing-gum mâchouillé qu’elle a dans la main gauche.
Pendant ce temps, un monsieur en costume nous observe et entame la conversation
avec moi. Il est conseiller juridique et on finira par échanger nos
coordonnées. On finit la photo avec la petite Elisa qui a l’air de se demander
ce qu’on lui veut même si Salomé lui explique en éwé ce qu’elle doit faire.
J’ai l’impression qu’Elisa ne parle pas du tout le français, je crois qu’elle
le comprend mais elle ne parle pas. Je ramène ensuite Elisa à sa maman (Flora).
On termine ainsi la mâtinée, et on rentre déjeuner à la maison. Lorsque j’ai
fini le plat de semoule, le poulet et les légumes (Aleysha ne mange pas
beaucoup, je pense que je mange environ 5 fois plus qu’elle), c’est presque
l’heure de partir au centre-ville. Aményo et Emmanuel viennent nous chercher à
15h40, direction le centre-ville. Mon Dieu je déteste ce trajet. Je suis
tellement crispée sur le porte-bagages qu’à un arrêt, un monsieur me dit
« Yovo, il faut lâcher ça ! ». On arrive à la banque pour
qu’Aleysha change ses francs CFA en cédis (la monnaie du Ghana, puisqu’elle y
va ce week-end), sauf que la banque est fermée, un monsieur nous indique où
garer les motos et nous dit qu’il va nous accompagner jusqu’à un bureau de
change. Je n’aurais jamais changé le moindre centime dans ledit bureau (bureau
qui est en fait une simple table dans la rue…) si j’avais été seule, mais tout
se passe bien et Aleysha repart avec ses cédis. On déambule ensuite dans le
marché, je demande parfois aux garçons ce que c’est sur les étals des
commerçantes. On évite soigneusement le rayon boucherie (j’ai déjà aperçu des
têtes de bœufs entières, avec les dents et tout le truc ce matin au premier
marché, ça me suffira pour aujourd’hui, je ne suis pas sûre que mon estomac
résiste à plus). On ne parlera pas des conditions de conservation,
réfrigération, etc. puisque vous avez compris qu’elles sont inexistantes. Ce
matin, sur ledit marché des têtes de bœufs, une petite fille me faisait de
grands signes en criant « Yovo Tata, Yovo Tata ». Je lui tends les
bras en lui disant « Tu viens me faire un bisou ? », la petite a
couru se jeter dans mes bras. J’en reviens à notre balade au marché, on
déambule, et sans les garçons, je crois que j’y serais encore tellement mon
sens de l’orientation, déjà mauvais en temps normal, est de l’ordre du désolant
au Togo. On rentre en moto, et alors que nous sommes arrêtés à un croisement,
une dame m’interpelle et me dit « Yovo, je-sais-pas-quoi-en-éwé ». Je
dis à Emmanuel que j’ai rien compris (évidemment). « Ah, elle dit que tu
es trop belle ». Oh, trop mignon. En rentrant, on offre un verre au bar
Sky à côté de chez nous à nos chauffeurs. J’en profite pour en savoir un peu
plus sur eux, ce qui les a amenés à Lomé car tous les deux sont originaires
d’un village. Emmanuel est venu étudier l’allemand, Aményo la géographie mais
malheureusement ils n’ont pas pu poursuivre leurs études faute de moyens.
Vendredi 12 août 2016
Il
est actuellement 05h30 du matin, et je vais profiter d’avoir été réveillée tôt
pour vous raconter ma journée d’hier. Hier donc, nous arrivons au bureau avec
Aleysha, il est prévu que nous allions au tribunal et que nous passions ensuite
par la régie des marchés pour récupérer notre autorisation. Madame Brigitte
nous prête fort heureusement sa voiture, et nous voilà en route, Salomé,
Aleysha, Audrey et moi pour le tribunal. Dans la grande salle, il n’y a rien
mais il y a un procès pour mineurs dans la seconde salle. On entre, on se
trouve une place sur les bancs déjà fort occupés et on assiste au procès. Il
s’agit de quatre jeunes garçons qui sont jugés, deux pour avoir volé une forte
somme d’argent (environ 780 euros, ce qui ici paraît totalement surréaliste
mais passons…), trois boîtes de sardines et cinq de lait concentré, du fil
électrique, etc. et deux pour avoir globalement fait le guet pendant que le
méfait était commis. Le juge leur pose des questions, ils ne parlent pas
français donc un traducteur les assiste. Le juge me fait rire, car il soulève
des faits qui paraissent étranges, du style comment une revendeuse de bazar
laisse 780 euros dans son magasin pendant toute la nuit alors même que sa maison
est fort éloignée. « C’est le nec plus ultra de la sécurité dans votre
magasin ? » lance le juge à la dame. Il est vrai que laisser 780
euros dans un magasin, déjà en Europe ça paraît surprenant mais vu la fortune
que cela représente ici, c’est encore plus surprenant. Les jeunes eux
soutiennent n’avoir trouvé, et donc volé, que 30 000 francs (contre les 615 000
francs avancés par la partie civile…). Bref, ça discute un bon moment. Jusque
là tout va à peu près bien, le procureur fait son réquisitoire, ok, et là, au
moment où l’avocat de la défense devrait prendre la parole, il ne se passe…
rien. Les gamins n’ont pas d’avocat, personne pour les représenter, et encore
moins les défendre. Je demande à Salomé « Mais ils n’ont pas
d’avocat ? Qui les défend ? », elle me répond « Non, pas
d’avocat, ils n’ont pas d’argent pour le payer ». Malheur… En revanche, la
partie civile avait un avocat… Là
évidemment, pour une juriste en formation, particulièrement attachée au droit à
un procès équitable et aux droits de la défense, c’est à pleurer. Peut-on
parler de procès, peut-on parler de justice dans une situation aussi
déséquilibrée ?
Le
verdict tombe, trois ans de prison fermes pour ceux qui ont volé, un an ferme
pour ceux qui ont fait le guet. Les gamins s’en vont, menottes au poignet. Je
n’ai pas encore vu les prisons ici, mais vu le procès, je m’attends au pire. Je
ne sais pas encore si j’aurai l’occasion d’y aller. Voir où ces gamins vont
passer trois ans de leur vie (sachant qu’ils étaient déjà détenus depuis le
mois de juin en attendant le « procès »…). Ils ne vont probablement
rien apprendre en prison, ressortir encore plus miséreux qu’ils ne le sont déjà
et que va-t-il bien pouvoir advenir d’eux ? Je ne connais pas le taux de
récidive au Togo mais ce serait intéressant de le chercher… Ne vous méprenez
pas sur mes propos, ce qui me choque, ce n’est pas qu’on condamne un voleur à
trois ans de prison, ce qui me choque, c’est que l’on enferme des jeunes de 18
ans pendant trois ans dans des conditions que je devine a minima difficiles,
sans qu’ils aient été défendus par un professionnel. Je ressors du tribunal le
cœur serré. Je savais qu’en venant ici, et en effectuant ce stage dans les
droits de l’homme, je serai peut-être amenée à voir des choses choquantes, affligeantes
ou même révoltantes. Mais c’est dur quand même. Je sais que les volontaires qui
effectuent leur stage en médecine ou en kinésithérapie souffrent aussi
particulièrement de ça. Diana, ma copine espagnole, est kiné en Espagne depuis
4 ans. Elle me dit que c’est horrible de voir les méthodes qu’ils appliquent
ici, qu’ils emploient la force sur des enfants pour redresser leurs membres,
alors que cela ne fait qu’entrechoquer les os et que ça fait plus de mal que de
bien, que les enfants crient, pleurent et les parents assistent à ça résolus,
persuadés que c’est bon pour leur enfant. Certains volontaires ont purement et
simplement refusé de pratiquer cela sur les patients, mais cela entraîne bien
sûr quelques tensions. Je devine Diana suffisamment douce et diplomate pour
parvenir peut-être à faire passer un message ou du moins à ne pas être
contrainte de traiter ses patients de cette façon. Céline, une volontaire
française en médecine, a malheureusement vu des enfants mourir faute de sang,
sachant que lorsque l’on a besoin de sang ici, il faut souvent le faire venir
du Ghana, le pays voisin (plus développé), que vu l’état des routes et des
voitures, cela prend du temps, temps que l’on n’a pas lorsqu’un enfant a perdu
trop de sang pendant une intervention, et certains de ces enfants sont morts
alors qu’en Europe, ils auraient très probablement pu être sauvés. Je ne vais
pas vous parler des conditions de stérilisation des instruments et autres parce
que je ne suis pas une spécialiste de la médecine, mais il est évident que les
standards européens sont très, très éloignés.
Je
suis navrée que mon journal de bord prenne un accent aussi triste, mais c’est
aussi la réalité togolaise, plus largement africaine et l’on ne peut pas faire
comme si elle n’existait pas.
Après
cette visite au tribunal, Aleysha et moi sommes rentrées déjeuner, riz, poulet
et sauce rouge aux carottes et aux poivrons. Comme d’habitude, j’ai fait
honneur à la cuisine de Loulou. On repart ensuite au bureau, où on perd un peu
de temps à savoir si on attend que Martin revienne avec les affiches, ou si on
le rejoint directement au marché. Finalement, Salomé, Aleysha, Audrey et moi
nous mettons en marche direction le marché de Totsi. Bon, il faut savoir qu’ici
les femmes ne marchent pas vite, elles marchent même lentement, mais genre,
vraiment lentement (Maman, ici tu marcherais tout à fait normalement, voire
même un peu vite). Aleysha et moi sommes donc 800 mètres devant et pourtant on
ne peut pas marcher plus lentement. En chemin, on récupère Lucia, la dame
d’AFEL qui va venir nous donner un coup de main. On arrive finalement au
marché, Salomé, Lucia et Audrey sont exténuées (on a marché environ 20 minutes
hein…), s’épongent le front avec un mouchoir… Haha mais c’est qui les
Togolaises ici ? Bref, on se dirige vers la direction du marché. Et là,
c’est encore un merdier épouvantable, en gros ils n’ont rien compris de ce
qu’on leur a demandé la dernière fois, ils sont restés sur leur idée que l’on
allait regrouper toutes les femmes au même endroit, etc. Donc on attend
je-ne-sais-trop-quoi, ça discute, ça brasse de l’air, ça agite nos belles
affiches fraîchement imprimées. Je dois avouer que j’ai un moment d’agacement
et de découragement, où je me demande si on va un jour pouvoir parvenir à faire
cette sensibilisation, si tout cela n’est pas totalement vain, etc. Je demande
quel est le problème, selon eux il n’y a pas de problème, donc je sais pas
pourquoi on attend mais une chose est sûre, on attend. Bref, après environ 30
minutes de brassage d’air et de pourparlers, on est enfin autorisées à
commencer. Je fais équipe avec Lucia, je laisse Aleysha se dépatouiller avec
Audrey (dont on ne sait pas encore exactement quelle langue elle parle). Salomé
les aide également. Martin fait le tour du marché pour accrocher les affiches
aux différentes entrées. On commence avec environ 4 femmes, assis sur des
tabourets à l’entrée du marché. La plupart d’entre elles ne parlent pas
français, alors c’est Lucia qui parle et qui me traduit l’essentiel. On
interroge une dame, puis deux. Arrive alors une jeune femme enceinte,
accompagnée d’un petit garçon. On l’interroge, pareil, elle ne parle pas
français, mais je demande à Lucia qu’elle lui explique tout particulièrement
bien la démarche, qu’elle insiste sur le fait que cela est gratuit et qu’on ne
doit pas lui demander d’argent. Cette jeune femme va mettre un enfant au monde
dans quelques temps, c’est sans doute avec elle qu’il faut le plus insister
pour que toutes les informations soient bien claires. Elle a un air un peu
triste mais semble intéressée, elle pose des questions à Lucia. Lucia est
formidable, pleine d’énergie, elle parle parfaitement éwé et français, elle est
gentille, claire, elle connaît les us et coutumes d’ici, bref c’est la personne
idéale avec qui faire équipe. Quand on en a terminé avec la jeune femme
enceinte, je demande à Lucia qu’elle lui dise que je lui souhaitais un beau
bébé en pleine santé. Lucia traduit, la jeune femme sourit d’un air touché, et
me donne un des paquets de pop-corn qu’elle vend. C’est à mon tour d’être
extrêmement émue… On continue dans le marché, on interroge environ 15 femmes et
un homme. Certaines après nous avoir écoutées, vont chercher leurs copines qui
ont a priori besoin de notre aide. La plupart des femmes ne parlent pas français,
ou alors très peu, et la présence de Lucia m’est indispensable. Je pourrai
néanmoins interroger deux femmes seule, puisqu’elles parlent très bien français
et que l’on peut communiquer sans problème. L’une d’elles est adorable, la
cinquantaine passée, le courant passe bien entre nous, on se salue d’une
poignée de mains et elle me demande mon prénom « Laurianne. _ Laurianne,
joli prénom ! ». Pour les autres, je laisse Lucia parler, je prends
en note ce qu’elle me traduit, et je me contente de sourire, de remercier les
femmes d’un « Akpélo Mama » (merci Maman en éwé, Maman étant une
marque de respect envers les femmes plus âgées) qui les fait sourire. A un
moment donné, je me retrouve assise sur un banc, coincée entre deux tables
chargées de marchandises, une horrible odeur de poisson séché sous le nez, en
nage, à griffonner sur ma feuille les informations traduites par Lucia, mais en
ayant le sentiment d’être utile. Une des femmes que nous interrogeons ne
connaît pas son âge… Beaucoup sont persuadées que la déclaration de naissance à
l’état-civil est payante, alors qu’il n’en est rien…
Après
environ une bonne heure et demi à déambuler dans le marché, il est temps de
rentrer, la maman d’Audrey devant venir la chercher au bureau. Lucia, Salomé et
Audrey retournent au bureau en taxi (20 minutes de marche supplémentaires et je
crois qu’on les aurait perdues). Martin, Aleysha et moi repartons à pied, on
rentre directement à la maison se vautrer sur nos lits. Je suis complètement
épuisée. Le soir, c’est salade de crudités, œuf, morceaux de saucisse et pain. On
discute un peu avec Aleysha, je vais finalement me coucher et je m’endors
enroulée dans ma moustiquaire.
Ce
matin, je crois que j’ai été réveillée par ce qui m’a semblé être une sorte
d’appel à la prière (il y a environ 20% de musulmans au Togo), puis par
quelqu’un qui a beuglé pendant environ 5 minutes dans la rue, puis, sûr d’avoir
réveillé tout le quartier, s’est tu, mais ce sont les coqs et la volière qui
ont pris le relais. Ca m’a permis de vous narrer ma journée d’hier et je vais
de ce pas aller prendre mon petit déjeuner. Ce matin, le club des enfants
revient et j’ai besoin d’énergie pour être au top avec eux.
(…)
Ce matin, on a passé les deux premières heures à discuter avec Aleysha et à
compiler les informations que nous avions recueillies hier. Puis j’ai préparé
le plateau de jeu pour le jeu de l’oie que nous avions prévu avec les enfants.
Nous avions récupéré les cartes préparées par une autre volontaire, mais le
plateau n’était plus là donc j’en ai refait un autre et nous avons utilisé les
cartes. Sur le plateau, quatre types de cases : vrai ou faux, droit,
devoir ou jeu. Chaque carte « droit » énonce un droit de l’enfant
(droit à la santé, droit d’aller à l’école, etc.). Chaque carte
« devoir » énonce un devoir de l’enfant (devoir d’obéir à ses
parents, etc.). Les cartes « vrai ou faux » posent une question à
laquelle il faut répondre par vrai ou faux (« est-ce qu’un enfant de 12
ans peut effectuer de lourds travaux ?), les cartes « jeu »
proposent un petit jeu histoire de divertir les enfants. On fait deux équipes,
il y a également deux cases marquées d’une croix, si l’on tombe dessus, il faut
retourner au départ. La première équipe qui termine le parcours a gagné. Les
enfants sont incroyables, ils sont évidemment hyper enthousiastes. Ils sont
beaucoup moins nombreux cette semaine que la semaine dernière, puisqu’ils ne
sont que 16. On fait deux parties, chaque équipe en gagne une, comme ça pas de
jaloux. Les enfants sont absolument fascinants. Un des petits s’appelle Missié
(ou Ahmed, si j’ai bien compris…), il doit avoir 12 ans, il a un esprit
incroyablement vif, une maturité étonnante, beaucoup de personnalité. Il y a
aussi Jean-Pierre, 11 ans je crois, plein de vie, d’énergie et très attachant.
Georges, 13 ans, le chef du « club des enfants », celui qui a la
responsabilité de les regrouper et de nous les amener. Chez les filles,
Joséphine, 12 ans environ, qui me pose plein de questions, Inès, 7 ans, tellement
attachante, Pedrita, 5 ans et demi, qui sait déjà lire… Après l’activité, et
comme la semaine dernière, beaucoup se ruent sur moi, et c’est parti pour une
séance de câlins, bisous, coiffure à grands renforts de « Tata ». On
leur distribue des biscuits, et certains me demandent d’aller saluer leur
maman. Me voilà donc guidée dans les maisons du quartier, deux enfants au bout
de chaque bras, menés par Joséphine et Inès. On salue d’abord la maman de
Joséphine, qui m’accueille avec un bébé dans les bras, il est tout petit alors
qu’il a 6 mois mais il est prématuré m’a-t-elle dit. Puis on va saluer la maman
de Pedrita, à qui j’exprime toute mon admiration pour la petite, sa maman est
couturière et accompagnée d’une de ses amies. Puis Inès m’emmène voir son papa
(qui est en fait le frère de Madame Brigitte). Il me raconte qu’il vivait à
Paris dans sa jeunesse. Ca me fait tout bizarre d’entendre parler de La
Chapelle et de la rue Marx Dormoy dans une maison d’un petit quartier de Lomé. Je
rentre ensuite au bureau où l’on planifie le programme de la semaine prochaine.
On rentre déjeuner à la maison d’un plat de lentilles, on se repose un peu et
j’en profite pour vous raconter ma mâtinée. Cet après-midi on retourne au
centre-ville, probablement en taxi-partagé cette fois, et ce soir on prend un
verre avec les autres volontaires au Radisson Hôtel.
(…)
Cet après-midi, Aleysha et moi avons donc pris un taxi partagé, ce qui est en
fait moins cher que les motos. Taxi partagé, ça veut juste dire qu’on monte
dans un taxi mais que le conducteur peut aussi charger d’autres personnes si
elles vont dans la même direction que nous. On monte donc à bord de notre taxi,
il nous dépose à la mairie, pas loin de la place de l’indépendance. On se
balade, à pied, ce qui ici paraît de l’ordre de l’inconcevable (surtout qu’on a
emmené nos casques au cas où on serait amenées à prendre un taxi-moto pour
rentrer). Un monsieur nous dit « Il y a une loi ici, quand on a un casque,
on ne marche pas ! ». C’est la deuxième plaisanterie qui m’a bien
fait marrer depuis ce matin, où Georges (le petit gamin) nous a raconté une
histoire drôle que je vais partager avec vous parce que je trouve qu’elle vaut
le coup. C’est l’histoire d’un homme qui tombe dans un trou, et le trou est si
profond qu’il ne peut pas en sortir. Un lion arrive et s’apprête à le dévorer.
L’homme se dit « Seigneur, faites que le lion ait une pensée
chrétienne… ». Au même moment, le lion se dit « Seigneur, bénissez ce
repas ». :D
On
se balade donc dans le marché, mais c’est rapidement épuisant, devoir être
constamment sur le qui-vive pour ne pas se faire renverser par une mobylette ou
une bagnole, devoir décliner gentiment les multiples propositions des vendeurs,
essayer de ne pas se casser la gueule sur les irrégularités de la route. On
regarde quelques stands, mais je ne trouve rien de transcendant (je cherchais
potentiellement une robe), du coup on se dirige directement vers l’hôtel
Radisson où nous avons rendez-vous avec les autres volontaires. A l’entrée, il
faut montrer patte blanche, on relève notre identité. Aleysha et moi on est
habillées comme des clochardes, on est dégueulasses, transpirantes, tant et si
bien que je me demande un instant si on ne va pas se faire jeter dehors avec un
coup de pied aux fesses mais non, on nous accueille comme des princesses. On
retrouve Becky et Sydney qui sont déjà arrivées. Les autres arrivent au fur et
à mesure. On monte au 27ème étage, on arrive dans une sorte de bar
lounge super beau, super chic, et super cher. C’est 3 500 francs CFA le jus de
fruits, soit un peu plus de 5 euros, ça reste néanmoins moins cher que Paname.
Et c’est le très haut de gamme de Lomé. Je vais faire un tour aux toilettes
pour me laver les mains, c’est la première fois que je me les lave à l’eau
chaude depuis que je suis arrivée. Je sirote mon jus d’ananas (fraîchement
pressé !) tout en discutant avec Mar, Diana et Anna. Ensuite les autres
veulent aller dîner au Breakfast to Breakfast mais j’estime que j’ai déjà
dépensé suffisamment d’argent pour aujourd’hui, aller manger un burger ou une
pizza ne m’intéresse pas spécialement, je décide donc de rentrer, Aleysha et
Anna aussi. On prend donc un autre taxi partagé qui nous dépose dans la grande
rue derrière chez nous, Aleysha passe à la supérette s’acheter un truc à
grignoter, je n’ai pas spécialement faim, on rentre se coucher.