mardi 30 août 2016

Yovo in Togo (#4) : Deuxième semaine !

Mardi 9 août 2016

Nous sommes mardi matin, ça fait très exactement une semaine que j’ai posé le pied sur le sol togolais pour la première fois. Hier, je suis allée travailler avec Aleysha, on est allées rendre visite à AFEL, une autre association qui s’occupe d’assister les gens dans les démarches de jugement supplétif (ça sert à obtenir un acte de naissance pour un enfant quand ce dernier n’a pas été déclaré dans les 45 jours qui suivent sa naissance). On a donc rencontré la directrice de l’association et son assistante, Lucia, qui m’a semblé être une femme très intéressante. La discussion avec elles était très instructive, et j’ai notamment appris que les subventions données par l’Union Européenne sont malheureusement souvent bloquées par les gouvernements qui les distribuent uniquement aux ONG et associations qui les soutiennent, et pas aux autres. Voire ils ne les distribuent tout simplement pas. Bref, je crois que le problème politique au Togo demeure le problème principal et qu’il sera très difficile pour le pays de se développer tant qu’ils n’auront pas à la tête de l’Etat des gens honnêtes et de bonne volonté. Mais c’est malheureusement je crois le lot de beaucoup de pays d’Afrique. On a ensuite peaufiné notre affiche, il ne nous reste plus qu’à ajouter la photo d’un enfant tenant son acte de naissance avec fierté, et l’affiche sera prête. On a ensuite beaucoup discuté avec Martin de plein de trucs. Pour ce qui est de la suite du stage, j’ai malheureusement l’impression qu’il va être difficile de mener à bien le projet que nous avions lancé, car il faut obtenir des autorisations pour tout, elles sont longues à obtenir et le gros du travail serait principalement à faire dans les villages puisqu’à Lomé, la situation n’est pas si mauvaise. On a discuté hier après-midi avec Emmanuel, le responsable des volontaires médicaux (pas mon chauffeur de taxi-moto préféré qui lui aussi s’appelle Emmanuel), il nous a assuré que les sages-femmes parlaient déjà aux mamans de ces démarches mais que celles-ci étaient parfois négligentes. Je reste persuadée qu’une petite piqûre de rappel serait bénéfique pour tout le monde mais il ne semblait pas de cet avis. Quand je vois en France et partout en Europe, le nombre de fois qu’il faut expliquer les démarches aux gens avant que ça ne rentre dans leur esprit, alors que nous avons pourtant accès à toutes sortes d’informations, je me dis qu’ici, ce ne serait pas de trop. Moi-même j’avoue ignorer totalement certaines démarches administratives, donc une femme togolaise, parfois analphabète, qui a beaucoup de difficultés à se déplacer, qui a du mal à nourrir sa famille, etc., je ne suis pas persuadée qu’elle connaisse toutes la démarche de déclaration de naissance. Mais bon. Emmanuel nous a tout de même proposé d’intervenir mercredi après-midi lors de l’activité qu’il organise sur les maladies tropicales. C’est déjà pas mal. L’idéal serait que nous puissions aller dans les villages les plus reculés, mais ce ne sera probablement pas possible. Si je vois que rien ne peut aboutir, je demanderai probablement si je peux changer d’association, ou alors j’essaierai de trouver un autre projet sur lequel travailler mais le problème risque d’être le même. Hier après-midi, après être rentrées, m’être jetée sur le plat de riz et de lentilles que Loulou avait préparé, nous sommes allées passer l’après-midi au bureau de Projects Abroad, où j’ai eu toutes les difficultés du monde à accéder au wifi et à réussir à mettre la première partie de ce journal en ligne. Tiffanie est malade, car dans un demi-sommeil, elle a bu l’eau du robinet sans réfléchir et ses intestins n’ont pas trop kiffé. Je suis comme d’habitude rentrée avec Emmanuel et Aleysha avec Aményo. On a dîné de spaghettis au piment et je suis allée me coucher à 20h30 pour dormir jusqu’à 6h (si l’on excepte un petit réveil vers 02h30 car Komlan est rentré en faisant un boucan du tonnerre).

Ce matin, nous sommes parties au bureau, on ne savait pas exactement ce que nous allions bien pouvoir faire. Et contre toute attente, pas mal de choses sont en train de se débloquer, lentement mais j’espère sûrement. On a demandé à madame Brigitte s’il était possible d’aller dans un village, on va essayer d’organiser ça. On a essayé de dessiner un petit enfant pour l’affiche, mais vu mes compétences en dessin, cela a été un échec cuisant. On est finalement partis pour le marché de Totsi, pour essayer d’obtenir une autorisation pour faire de la sensibilisation sur le marché. On nous envoie tout d’abord dans une première petite pièce, où il y a deux femmes et deux hommes. Puis on nous dit qu’il faut aller voir la présidente, les deux hommes nous accompagnent. On se retrouve dans la boutique de tissus où Aleysha a acheté son pagne la semaine dernière. On réexplique notre démarche. Ca n’a pas l’air possible, il faut aller voir la direction pour pouvoir faire tous les marchés. On reformule un peu notre demande, on est assis sur une sorte de banc entre les pièces de tissu. Finalement, la situation se débloque et on nous autorise à intervenir jeudi à partir de 13h sur le marché. Ils ont même l’air enthousiastes surtout la dame qui nous serre la main avec un grand sourire. Avant de quitter le marché, on retourne dire au revoir à la femme du frère de Martin et à la belle-maman. Au moment où nous allons partir, une des dames de la première pièce me fait signe d’approcher. Je retourne dans la pièce et elle me dit « Mais pourquoi vous n’allez pas dans les villages ? Il faut aller dans les villages, moi dans mon village par exemple, les gens souffrent aussi, les enfants, pas d’acte de naissance, rien », « Quel est le nom de votre village madame ? », « Ayakopé », « On ira madame ». L’espace d’une demi-seconde j’ai l’impression d’être un homme politique en campagne, à qui les gens demandent des choses, qui serrent des mains et tente de rassurer la population. Quoi qu’il en soit, je suis bien décidée à insister auprès de madame Brigitte pour que l’on essaie d’aller dans ce village.

(…) Cet après-midi, nous avions l’activité de groupe organisée chaque mardi après-midi par Projects Abroad. Au programme d’aujourd’hui, confection d’un bracelet en perles. Si vous me connaissez un peu, vous savez à quel point j’ai une sainte horreur des travaux manuels. Et contre toute attente, je me suis laissée prendre au jeu, je me suis un peu appliquée et le résultat n’est pas trop moche. J’ai fait connaissance avec les autres volontaires qui sont arrivées cette semaine, dont une flopée de Français. Bastien est étudiant en droit aussi et Anaelle va commencer sa première année de droit en septembre. Après avoir fini mon bracelet, bu mon Youki Cocktail (une boisson d’ici qui en gros ressemble à de l’Oasis pétillant) et discuté un peu avec tout le monde, je suis rentrée en taxi-moto avec Emmanuel comme d’habitude. C’était la première fois que je rentrais en taxi-moto de nuit et j’étais pas forcément super enthousiaste à l’idée, mais tout s’est très bien passé. J’en profite toujours pour discuter un peu avec Emmanuel, je  lui explique ce que je fais au stage, je lui pose des questions sur la vie au Togo, la culture, etc. Aujourd’hui, on a parlé de son village et de sa famille. Il est l’aîné d’une fratrie de huit enfants, son père avait trois femmes, et d’après lui, il n’a pas tellement apprécié grandir dans cette famille polygame, car ça cause beaucoup de problèmes et de disputes. En tout cas, lui ne veut qu’une seule femme. Et je lui ai posé la question, ici la polygamie ne semble pas être réservée aux familles musulmanes. On est donc rentrées dîner avec Aleysha, salade d’avocats, de tomates, d’oignons et d’une sorte de saucisson à l’ail. S’en est suivie une grande conversation sur toutes sortes de sujets, et c’est aussi ce que j’attendais de cette expérience : rencontrer des gens d’horizons différents, échanger, partager, et pour ça, c’est génial !

Ah oui, j’ai demandé à Martin pour les communautés juives, et non il n’y en a pas, les enfants qui portent des prénoms que nous considérons comme associés au judaïsme en France sont en fait des familles chrétiennes qui piochent les noms de leurs enfants dans l’Ancien Testament. D’où Isaac, Israël, etc.

Jeudi 11 août 2016

Hier soir, j’étais trop claquée pour vous raconter ma journée. Hier matin, nous sommes donc parties travailler avec Aleysha. Il était prévu que nous allions porter la demande d’autorisation au Centre médico-social de Djidjolé (mon quartier à Lomé) et ensuite qu’on aille porter la demande d’autorisation à la régie des marchés au marché central. On part en moto avec Martin et Aleysha avec une autre moto. On arrive au CMS, la directrice n’est pas là mais on laisse le document à la secrétaire qui promet de rappeler rapidement pour nous donner une réponse. Elle aussi a l’air tout à fait en accord avec notre projet. On rentre au bureau et quand on entre, on voit trois personnes attablées à notre table de travail, une dame, un jeune homme et une jeune fille. Madame Brigitte nous explique que la jeune fille (Audrey) va faire un stage avec nous. Elle n’a rien à voir avec Projects Abroad, c’est juste une famille d’origine togolaise, dont la mère et la fille vivent aux Etats-Unis et le fils à Paris. Madame Brigitte nous dit qu’Audrey va venir avec nous à la régie des marchés. Pourquoi pas, sauf que ce qu’il faut bien comprendre, c’est qu’Aleysha et moi avons déjà du mal parfois à nous occuper toute la journée, que tout ici prend beaucoup de temps. Je me rends rapidement compte qu’Audrey parle très mal le français, elle ne le lit pas non plus et vu qu’elle n’articule pas quand elle parle (quand elle parle !), même en anglais je ne la comprends pas. Sachant que Martin, Salomé et madame Brigitte ne parlent pas anglais. Heureusement Aleysha est écossaise, donc on devrait pouvoir s’en sortir. Quand j’apprends qu’elle a 14 ans et qu’elle est au lycée, je me demande bien l’intérêt pour elle de venir faire ce genre de stage, surtout que d’après ce que sa mère nous a dit, elle veut travailler avec les enfants, donc elle aurait plutôt dû se diriger vers un orphelinat. Bref, ça a pris environ 35 minutes de plus pour savoir si elle venait avec nous à la régie des marchés, pour savoir si on essayait de lui trouver un casque ou pas (finalement non), pour qu’on trouve une moto supplémentaire, etc., etc. On part donc à 3 motos en essayant de se suivre, ce qui est particulièrement dangereux car mon chauffeur et celui d’Aleysha n’avaient pas la moindre idée de où nous allions, ils devaient donc suivre Martin et se suivre dans le trafic du centre-ville de Lomé, c’est vraiment pas triste. J’ai vu ma dernière heure arriver une douzaine de fois. On a finalement purement et simplement perdu Martin et nos chauffeurs ont dû demander aux passants où était la régie des marchés. Après vingt bonnes minutes supplémentaires, on a réussi à le retrouver. On a donc été déposer notre demande à la régie des marchés, la directrice a été particulièrement conciliante donc ça devrait pouvoir se faire. En rentrant, on a finalement terminé notre affiche, puisqu’elle doit être prête pour demain. Il nous fallait un enfant pour la photo, je suis donc allée demander à la maman de ma petite protégée si elle acceptait qu’Elisa soit le visage de la campagne et elle a gentiment accepté. Je reviens donc avec Elisabeth au bureau, on l’installe devant le panneau blanc, je lui retire le jus d’ananas congelé qu’elle a dans la main droite, et le chewing-gum mâchouillé qu’elle a dans la main gauche. Pendant ce temps, un monsieur en costume nous observe et entame la conversation avec moi. Il est conseiller juridique et on finira par échanger nos coordonnées. On finit la photo avec la petite Elisa qui a l’air de se demander ce qu’on lui veut même si Salomé lui explique en éwé ce qu’elle doit faire. J’ai l’impression qu’Elisa ne parle pas du tout le français, je crois qu’elle le comprend mais elle ne parle pas. Je ramène ensuite Elisa à sa maman (Flora). On termine ainsi la mâtinée, et on rentre déjeuner à la maison. Lorsque j’ai fini le plat de semoule, le poulet et les légumes (Aleysha ne mange pas beaucoup, je pense que je mange environ 5 fois plus qu’elle), c’est presque l’heure de partir au centre-ville. Aményo et Emmanuel viennent nous chercher à 15h40, direction le centre-ville. Mon Dieu je déteste ce trajet. Je suis tellement crispée sur le porte-bagages qu’à un arrêt, un monsieur me dit « Yovo, il faut lâcher ça ! ». On arrive à la banque pour qu’Aleysha change ses francs CFA en cédis (la monnaie du Ghana, puisqu’elle y va ce week-end), sauf que la banque est fermée, un monsieur nous indique où garer les motos et nous dit qu’il va nous accompagner jusqu’à un bureau de change. Je n’aurais jamais changé le moindre centime dans ledit bureau (bureau qui est en fait une simple table dans la rue…) si j’avais été seule, mais tout se passe bien et Aleysha repart avec ses cédis. On déambule ensuite dans le marché, je demande parfois aux garçons ce que c’est sur les étals des commerçantes. On évite soigneusement le rayon boucherie (j’ai déjà aperçu des têtes de bœufs entières, avec les dents et tout le truc ce matin au premier marché, ça me suffira pour aujourd’hui, je ne suis pas sûre que mon estomac résiste à plus). On ne parlera pas des conditions de conservation, réfrigération, etc. puisque vous avez compris qu’elles sont inexistantes. Ce matin, sur ledit marché des têtes de bœufs, une petite fille me faisait de grands signes en criant « Yovo Tata, Yovo Tata ». Je lui tends les bras en lui disant « Tu viens me faire un bisou ? », la petite a couru se jeter dans mes bras. J’en reviens à notre balade au marché, on déambule, et sans les garçons, je crois que j’y serais encore tellement mon sens de l’orientation, déjà mauvais en temps normal, est de l’ordre du désolant au Togo. On rentre en moto, et alors que nous sommes arrêtés à un croisement, une dame m’interpelle et me dit « Yovo, je-sais-pas-quoi-en-éwé ». Je dis à Emmanuel que j’ai rien compris (évidemment). « Ah, elle dit que tu es trop belle ». Oh, trop mignon. En rentrant, on offre un verre au bar Sky à côté de chez nous à nos chauffeurs. J’en profite pour en savoir un peu plus sur eux, ce qui les a amenés à Lomé car tous les deux sont originaires d’un village. Emmanuel est venu étudier l’allemand, Aményo la géographie mais malheureusement ils n’ont pas pu poursuivre leurs études faute de moyens.

Vendredi 12 août 2016

Il est actuellement 05h30 du matin, et je vais profiter d’avoir été réveillée tôt pour vous raconter ma journée d’hier. Hier donc, nous arrivons au bureau avec Aleysha, il est prévu que nous allions au tribunal et que nous passions ensuite par la régie des marchés pour récupérer notre autorisation. Madame Brigitte nous prête fort heureusement sa voiture, et nous voilà en route, Salomé, Aleysha, Audrey et moi pour le tribunal. Dans la grande salle, il n’y a rien mais il y a un procès pour mineurs dans la seconde salle. On entre, on se trouve une place sur les bancs déjà fort occupés et on assiste au procès. Il s’agit de quatre jeunes garçons qui sont jugés, deux pour avoir volé une forte somme d’argent (environ 780 euros, ce qui ici paraît totalement surréaliste mais passons…), trois boîtes de sardines et cinq de lait concentré, du fil électrique, etc. et deux pour avoir globalement fait le guet pendant que le méfait était commis. Le juge leur pose des questions, ils ne parlent pas français donc un traducteur les assiste. Le juge me fait rire, car il soulève des faits qui paraissent étranges, du style comment une revendeuse de bazar laisse 780 euros dans son magasin pendant toute la nuit alors même que sa maison est fort éloignée. « C’est le nec plus ultra de la sécurité dans votre magasin ? » lance le juge à la dame. Il est vrai que laisser 780 euros dans un magasin, déjà en Europe ça paraît surprenant mais vu la fortune que cela représente ici, c’est encore plus surprenant. Les jeunes eux soutiennent n’avoir trouvé, et donc volé, que 30 000 francs (contre les 615 000 francs avancés par la partie civile…). Bref, ça discute un bon moment. Jusque là tout va à peu près bien, le procureur fait son réquisitoire, ok, et là, au moment où l’avocat de la défense devrait prendre la parole, il ne se passe… rien. Les gamins n’ont pas d’avocat, personne pour les représenter, et encore moins les défendre. Je demande à Salomé « Mais ils n’ont pas d’avocat ? Qui les défend ? », elle me répond « Non, pas d’avocat, ils n’ont pas d’argent pour le payer ». Malheur… En revanche, la partie civile avait un avocat…  Là évidemment, pour une juriste en formation, particulièrement attachée au droit à un procès équitable et aux droits de la défense, c’est à pleurer. Peut-on parler de procès, peut-on parler de justice dans une situation aussi déséquilibrée ?
Le verdict tombe, trois ans de prison fermes pour ceux qui ont volé, un an ferme pour ceux qui ont fait le guet. Les gamins s’en vont, menottes au poignet. Je n’ai pas encore vu les prisons ici, mais vu le procès, je m’attends au pire. Je ne sais pas encore si j’aurai l’occasion d’y aller. Voir où ces gamins vont passer trois ans de leur vie (sachant qu’ils étaient déjà détenus depuis le mois de juin en attendant le « procès »…). Ils ne vont probablement rien apprendre en prison, ressortir encore plus miséreux qu’ils ne le sont déjà et que va-t-il bien pouvoir advenir d’eux ? Je ne connais pas le taux de récidive au Togo mais ce serait intéressant de le chercher… Ne vous méprenez pas sur mes propos, ce qui me choque, ce n’est pas qu’on condamne un voleur à trois ans de prison, ce qui me choque, c’est que l’on enferme des jeunes de 18 ans pendant trois ans dans des conditions que je devine a minima difficiles, sans qu’ils aient été défendus par un professionnel. Je ressors du tribunal le cœur serré. Je savais qu’en venant ici, et en effectuant ce stage dans les droits de l’homme, je serai peut-être amenée à voir des choses choquantes, affligeantes ou même révoltantes. Mais c’est dur quand même. Je sais que les volontaires qui effectuent leur stage en médecine ou en kinésithérapie souffrent aussi particulièrement de ça. Diana, ma copine espagnole, est kiné en Espagne depuis 4 ans. Elle me dit que c’est horrible de voir les méthodes qu’ils appliquent ici, qu’ils emploient la force sur des enfants pour redresser leurs membres, alors que cela ne fait qu’entrechoquer les os et que ça fait plus de mal que de bien, que les enfants crient, pleurent et les parents assistent à ça résolus, persuadés que c’est bon pour leur enfant. Certains volontaires ont purement et simplement refusé de pratiquer cela sur les patients, mais cela entraîne bien sûr quelques tensions. Je devine Diana suffisamment douce et diplomate pour parvenir peut-être à faire passer un message ou du moins à ne pas être contrainte de traiter ses patients de cette façon. Céline, une volontaire française en médecine, a malheureusement vu des enfants mourir faute de sang, sachant que lorsque l’on a besoin de sang ici, il faut souvent le faire venir du Ghana, le pays voisin (plus développé), que vu l’état des routes et des voitures, cela prend du temps, temps que l’on n’a pas lorsqu’un enfant a perdu trop de sang pendant une intervention, et certains de ces enfants sont morts alors qu’en Europe, ils auraient très probablement pu être sauvés. Je ne vais pas vous parler des conditions de stérilisation des instruments et autres parce que je ne suis pas une spécialiste de la médecine, mais il est évident que les standards européens sont très, très éloignés.
Je suis navrée que mon journal de bord prenne un accent aussi triste, mais c’est aussi la réalité togolaise, plus largement africaine et l’on ne peut pas faire comme si elle n’existait pas.

Après cette visite au tribunal, Aleysha et moi sommes rentrées déjeuner, riz, poulet et sauce rouge aux carottes et aux poivrons. Comme d’habitude, j’ai fait honneur à la cuisine de Loulou. On repart ensuite au bureau, où on perd un peu de temps à savoir si on attend que Martin revienne avec les affiches, ou si on le rejoint directement au marché. Finalement, Salomé, Aleysha, Audrey et moi nous mettons en marche direction le marché de Totsi. Bon, il faut savoir qu’ici les femmes ne marchent pas vite, elles marchent même lentement, mais genre, vraiment lentement (Maman, ici tu marcherais tout à fait normalement, voire même un peu vite). Aleysha et moi sommes donc 800 mètres devant et pourtant on ne peut pas marcher plus lentement. En chemin, on récupère Lucia, la dame d’AFEL qui va venir nous donner un coup de main. On arrive finalement au marché, Salomé, Lucia et Audrey sont exténuées (on a marché environ 20 minutes hein…), s’épongent le front avec un mouchoir… Haha mais c’est qui les Togolaises ici ? Bref, on se dirige vers la direction du marché. Et là, c’est encore un merdier épouvantable, en gros ils n’ont rien compris de ce qu’on leur a demandé la dernière fois, ils sont restés sur leur idée que l’on allait regrouper toutes les femmes au même endroit, etc. Donc on attend je-ne-sais-trop-quoi, ça discute, ça brasse de l’air, ça agite nos belles affiches fraîchement imprimées. Je dois avouer que j’ai un moment d’agacement et de découragement, où je me demande si on va un jour pouvoir parvenir à faire cette sensibilisation, si tout cela n’est pas totalement vain, etc. Je demande quel est le problème, selon eux il n’y a pas de problème, donc je sais pas pourquoi on attend mais une chose est sûre, on attend. Bref, après environ 30 minutes de brassage d’air et de pourparlers, on est enfin autorisées à commencer. Je fais équipe avec Lucia, je laisse Aleysha se dépatouiller avec Audrey (dont on ne sait pas encore exactement quelle langue elle parle). Salomé les aide également. Martin fait le tour du marché pour accrocher les affiches aux différentes entrées. On commence avec environ 4 femmes, assis sur des tabourets à l’entrée du marché. La plupart d’entre elles ne parlent pas français, alors c’est Lucia qui parle et qui me traduit l’essentiel. On interroge une dame, puis deux. Arrive alors une jeune femme enceinte, accompagnée d’un petit garçon. On l’interroge, pareil, elle ne parle pas français, mais je demande à Lucia qu’elle lui explique tout particulièrement bien la démarche, qu’elle insiste sur le fait que cela est gratuit et qu’on ne doit pas lui demander d’argent. Cette jeune femme va mettre un enfant au monde dans quelques temps, c’est sans doute avec elle qu’il faut le plus insister pour que toutes les informations soient bien claires. Elle a un air un peu triste mais semble intéressée, elle pose des questions à Lucia. Lucia est formidable, pleine d’énergie, elle parle parfaitement éwé et français, elle est gentille, claire, elle connaît les us et coutumes d’ici, bref c’est la personne idéale avec qui faire équipe. Quand on en a terminé avec la jeune femme enceinte, je demande à Lucia qu’elle lui dise que je lui souhaitais un beau bébé en pleine santé. Lucia traduit, la jeune femme sourit d’un air touché, et me donne un des paquets de pop-corn qu’elle vend. C’est à mon tour d’être extrêmement émue… On continue dans le marché, on interroge environ 15 femmes et un homme. Certaines après nous avoir écoutées, vont chercher leurs copines qui ont a priori besoin de notre aide. La plupart des femmes ne parlent pas français, ou alors très peu, et la présence de Lucia m’est indispensable. Je pourrai néanmoins interroger deux femmes seule, puisqu’elles parlent très bien français et que l’on peut communiquer sans problème. L’une d’elles est adorable, la cinquantaine passée, le courant passe bien entre nous, on se salue d’une poignée de mains et elle me demande mon prénom « Laurianne. _ Laurianne, joli prénom ! ». Pour les autres, je laisse Lucia parler, je prends en note ce qu’elle me traduit, et je me contente de sourire, de remercier les femmes d’un « Akpélo Mama » (merci Maman en éwé, Maman étant une marque de respect envers les femmes plus âgées) qui les fait sourire. A un moment donné, je me retrouve assise sur un banc, coincée entre deux tables chargées de marchandises, une horrible odeur de poisson séché sous le nez, en nage, à griffonner sur ma feuille les informations traduites par Lucia, mais en ayant le sentiment d’être utile. Une des femmes que nous interrogeons ne connaît pas son âge… Beaucoup sont persuadées que la déclaration de naissance à l’état-civil est payante, alors qu’il n’en est rien…
Après environ une bonne heure et demi à déambuler dans le marché, il est temps de rentrer, la maman d’Audrey devant venir la chercher au bureau. Lucia, Salomé et Audrey retournent au bureau en taxi (20 minutes de marche supplémentaires et je crois qu’on les aurait perdues). Martin, Aleysha et moi repartons à pied, on rentre directement à la maison se vautrer sur nos lits. Je suis complètement épuisée. Le soir, c’est salade de crudités, œuf, morceaux de saucisse et pain. On discute un peu avec Aleysha, je vais finalement me coucher et je m’endors enroulée dans ma moustiquaire.

Ce matin, je crois que j’ai été réveillée par ce qui m’a semblé être une sorte d’appel à la prière (il y a environ 20% de musulmans au Togo), puis par quelqu’un qui a beuglé pendant environ 5 minutes dans la rue, puis, sûr d’avoir réveillé tout le quartier, s’est tu, mais ce sont les coqs et la volière qui ont pris le relais. Ca m’a permis de vous narrer ma journée d’hier et je vais de ce pas aller prendre mon petit déjeuner. Ce matin, le club des enfants revient et j’ai besoin d’énergie pour être au top avec eux.

(…) Ce matin, on a passé les deux premières heures à discuter avec Aleysha et à compiler les informations que nous avions recueillies hier. Puis j’ai préparé le plateau de jeu pour le jeu de l’oie que nous avions prévu avec les enfants. Nous avions récupéré les cartes préparées par une autre volontaire, mais le plateau n’était plus là donc j’en ai refait un autre et nous avons utilisé les cartes. Sur le plateau, quatre types de cases : vrai ou faux, droit, devoir ou jeu. Chaque carte « droit » énonce un droit de l’enfant (droit à la santé, droit d’aller à l’école, etc.). Chaque carte « devoir » énonce un devoir de l’enfant (devoir d’obéir à ses parents, etc.). Les cartes « vrai ou faux » posent une question à laquelle il faut répondre par vrai ou faux (« est-ce qu’un enfant de 12 ans peut effectuer de lourds travaux ?), les cartes « jeu » proposent un petit jeu histoire de divertir les enfants. On fait deux équipes, il y a également deux cases marquées d’une croix, si l’on tombe dessus, il faut retourner au départ. La première équipe qui termine le parcours a gagné. Les enfants sont incroyables, ils sont évidemment hyper enthousiastes. Ils sont beaucoup moins nombreux cette semaine que la semaine dernière, puisqu’ils ne sont que 16. On fait deux parties, chaque équipe en gagne une, comme ça pas de jaloux. Les enfants sont absolument fascinants. Un des petits s’appelle Missié (ou Ahmed, si j’ai bien compris…), il doit avoir 12 ans, il a un esprit incroyablement vif, une maturité étonnante, beaucoup de personnalité. Il y a aussi Jean-Pierre, 11 ans je crois, plein de vie, d’énergie et très attachant. Georges, 13 ans, le chef du « club des enfants », celui qui a la responsabilité de les regrouper et de nous les amener. Chez les filles, Joséphine, 12 ans environ, qui me pose plein de questions, Inès, 7 ans, tellement attachante, Pedrita, 5 ans et demi, qui sait déjà lire… Après l’activité, et comme la semaine dernière, beaucoup se ruent sur moi, et c’est parti pour une séance de câlins, bisous, coiffure à grands renforts de « Tata ». On leur distribue des biscuits, et certains me demandent d’aller saluer leur maman. Me voilà donc guidée dans les maisons du quartier, deux enfants au bout de chaque bras, menés par Joséphine et Inès. On salue d’abord la maman de Joséphine, qui m’accueille avec un bébé dans les bras, il est tout petit alors qu’il a 6 mois mais il est prématuré m’a-t-elle dit. Puis on va saluer la maman de Pedrita, à qui j’exprime toute mon admiration pour la petite, sa maman est couturière et accompagnée d’une de ses amies. Puis Inès m’emmène voir son papa (qui est en fait le frère de Madame Brigitte). Il me raconte qu’il vivait à Paris dans sa jeunesse. Ca me fait tout bizarre d’entendre parler de La Chapelle et de la rue Marx Dormoy dans une maison d’un petit quartier de Lomé. Je rentre ensuite au bureau où l’on planifie le programme de la semaine prochaine. On rentre déjeuner à la maison d’un plat de lentilles, on se repose un peu et j’en profite pour vous raconter ma mâtinée. Cet après-midi on retourne au centre-ville, probablement en taxi-partagé cette fois, et ce soir on prend un verre avec les autres volontaires au Radisson Hôtel.

(…) Cet après-midi, Aleysha et moi avons donc pris un taxi partagé, ce qui est en fait moins cher que les motos. Taxi partagé, ça veut juste dire qu’on monte dans un taxi mais que le conducteur peut aussi charger d’autres personnes si elles vont dans la même direction que nous. On monte donc à bord de notre taxi, il nous dépose à la mairie, pas loin de la place de l’indépendance. On se balade, à pied, ce qui ici paraît de l’ordre de l’inconcevable (surtout qu’on a emmené nos casques au cas où on serait amenées à prendre un taxi-moto pour rentrer). Un monsieur nous dit « Il y a une loi ici, quand on a un casque, on ne marche pas ! ». C’est la deuxième plaisanterie qui m’a bien fait marrer depuis ce matin, où Georges (le petit gamin) nous a raconté une histoire drôle que je vais partager avec vous parce que je trouve qu’elle vaut le coup. C’est l’histoire d’un homme qui tombe dans un trou, et le trou est si profond qu’il ne peut pas en sortir. Un lion arrive et s’apprête à le dévorer. L’homme se dit « Seigneur, faites que le lion ait une pensée chrétienne… ». Au même moment, le lion se dit « Seigneur, bénissez ce repas ». :D

On se balade donc dans le marché, mais c’est rapidement épuisant, devoir être constamment sur le qui-vive pour ne pas se faire renverser par une mobylette ou une bagnole, devoir décliner gentiment les multiples propositions des vendeurs, essayer de ne pas se casser la gueule sur les irrégularités de la route. On regarde quelques stands, mais je ne trouve rien de transcendant (je cherchais potentiellement une robe), du coup on se dirige directement vers l’hôtel Radisson où nous avons rendez-vous avec les autres volontaires. A l’entrée, il faut montrer patte blanche, on relève notre identité. Aleysha et moi on est habillées comme des clochardes, on est dégueulasses, transpirantes, tant et si bien que je me demande un instant si on ne va pas se faire jeter dehors avec un coup de pied aux fesses mais non, on nous accueille comme des princesses. On retrouve Becky et Sydney qui sont déjà arrivées. Les autres arrivent au fur et à mesure. On monte au 27ème étage, on arrive dans une sorte de bar lounge super beau, super chic, et super cher. C’est 3 500 francs CFA le jus de fruits, soit un peu plus de 5 euros, ça reste néanmoins moins cher que Paname. Et c’est le très haut de gamme de Lomé. Je vais faire un tour aux toilettes pour me laver les mains, c’est la première fois que je me les lave à l’eau chaude depuis que je suis arrivée. Je sirote mon jus d’ananas (fraîchement pressé !) tout en discutant avec Mar, Diana et Anna. Ensuite les autres veulent aller dîner au Breakfast to Breakfast mais j’estime que j’ai déjà dépensé suffisamment d’argent pour aujourd’hui, aller manger un burger ou une pizza ne m’intéresse pas spécialement, je décide donc de rentrer, Aleysha et Anna aussi. On prend donc un autre taxi partagé qui nous dépose dans la grande rue derrière chez nous, Aleysha passe à la supérette s’acheter un truc à grignoter, je n’ai pas spécialement faim, on rentre se coucher.

lundi 22 août 2016

Yovo in Togo (#3) : Week-end à Kpalimé

Vendredi 5 août 2016

Après un délicieux dîner hier soir à base de pâtes et d’une sauce tomate agrémentée de légumes et de piment (comme à la maison, le piment en plus !), je suis allée me coucher et me suis endormie comme un gros bébé. Ce matin, réveillée par les coqs et par un maudit piaf qui doit avoir élu domicile sous ma fenêtre (j’avais encore oublié les boules Quies…), je me rends compte qu’Internet ne marche plus. Je pensais avoir dépensé tout mon crédit mais en fait pas du tout, c’était juste un problème de réseau puisque Aleysha avait le même problème. (Finalement, tout est rentré dans l’ordre en fin de matinée).
On part donc pour le bureau, il est prévu que les enfants du quartier viennent à 10h pour une séance de sensibilisation sur l’importance de la déclaration de naissance. On discute un peu avec Martin, on peaufine notre affiche, et on prépare un jeu pour les enfants qui serait plus susceptible de les intéresser qu’un long discours sur une procédure administrative rébarbative pour tout le monde. Les enfants arrivent, arrivent, arrivent. On nous avait parlé de 20 enfants, déjà Aleysha trouvait ça beaucoup trop (elle dit elle-même qu’elle déteste les enfants) et moi-même je trouvais ça déjà un peu beaucoup et j’avais peur que ce soit difficile à gérer. Finalement on se retrouve avec 32 petits gamins entre 4 et 13 ans, qui nous regardent avec de grands yeux. Ils me prennent les mains, me touchent les cheveux, me caressent les bras. Il faut croire que « Yovo » suscite leur curiosité. Martin commence à leur dire de rapporter des chaises, tabourets et autres, mais comme le bureau n’est pas extensible, je suggère que les autres s’assoient par terre. C’est ce qu’on finit par faire, et je commence par nous présenter Aleysha et moi, et je demande ensuite aux enfants de se présenter les uns après les autres, de nous dire leur nom et leur âge. Certains se lèvent comme on faisait dans les écoles françaises il y a quelques années, et comme on fait sans doute toujours ici, les plus petits sont un peu intimidés. Je ne comprends pas tous les noms malheureusement, beaucoup ont des prénoms togolais traditionnels, ils ne parlent pas très fort, je suis obligée d’en faire répéter certains. D’autres ont des prénoms français typiques (voire même carrément rétros comme Georges, Jean-Pierre, Jean-Paul, etc.) et d’autres ont des prénoms arabes/musulmans (Malik, Saïd, etc.). Certains ont même des prénoms juifs, tels que Isaac, Ismaël et Israël. Je demanderai à Martin s’il y a une communauté juive au Togo, ou si c’est juste une coïncidence. Ils ont donc entre 4 et 13 ans, jusqu’à ce qu’Elisa, ma petite chouchoute fasse son apparition, passe devant tout le monde et vienne s’asseoir sur mes genoux. Après ça, on leur demande ce qu’ils savent à propos de leur naissance, où est-ce qu’ils sont nés, s’ils ont des frères et sœurs, etc. Et finalement on en arrive à la question cruciale : est-ce qu’ils savent s’ils ont été déclarés à la naissance et s’ils ont un acte de naissance ? Il semblerait que pour la plupart, ce soit le cas, sauf deux petits dont le grand frère nous confirme qu’ils n’ont pas d’acte de naissance et qu’ils n’ont pas été déclarés. (Information que nous avons l’intention de vérifier dans les semaines qui viennent, et tenter d’y remédier si c’est possible). On explique ensuite aux enfants, et on leur pose des questions pour voir s’ils ont retenu quelque chose de notre petit speech. Certains oui, les plus petits pas du tout mais c’est normal. On répète une fois, deux fois, trois fois. Certains qui n’avaient rien compris et qui commençaient à s’endormir sur leur banc commencent à se réveiller et à participer de bon cœur. C’est touchant de voir leur enthousiasme même sur un sujet pas du tout excitant, de les voir participer, lever la main, gigoter sur leur banc quand ils connaissent une réponse. Quand un petit gamin de 12 ans me parle de la procédure de jugement supplétif, j’ai peine à en croire mes oreilles. Quand une petite gamine haute comme trois pommes, et qui a 5 ans, s’empare d’une carte et la lit à haute voix alors que j’aurais parié cher qu’elle ne savait pas lire, j’en reste bouche bée et avec Martin on se regarde, sidérés. D’autres ont plus de difficultés, certains ont des accents plus forts que d’autres, mais tous comprennent le français. Je fais mon maximum pour parler le plus lentement et le plus distinctement possible, pour adapter mon vocabulaire et mes phrases à de jeunes enfants. Plus tard, quand je dirai à Aleysha que c’est la première fois que je fais des activités avec des enfants, elle est très surprise. Je devais paraître plutôt à l’aise, et contre toute attente, je l’étais. Ces enfants étaient tellement pleins de vie, tellement mignons, tellement affectueux et réceptifs à ce que nous essayions de leur transmettre. On les fait ensuite jouer à un jeu pour tenter de leur faire mémoriser ce que nous leur avons appris, et je redécouvre avec surprise le temps que mettent les enfants à se lasser de quelque chose. Ils veulent tous participer. Quand on les libère, ils se ruent tous sur moi, m’entourent la taille de leurs petits bras, s’accrochent à mes bras, me touchent les mains, me caressent l’avant-bras, touchent mes cheveux, me demandent si ce sont des vrais, si la couleur est vraie, pourquoi je ne fais pas de tresses, etc. Ils ne veulent plus me lâcher. Une jeune fille me parle d’une émission qu’elle a vue sur TV5 Monde, me demande de lui montrer mon téléphone, me pose des questions, etc. Ils sont tellement curieux, ils ont tous de larges sourires. La directrice de l’association leur distribue des biscuits, ils veulent tous les partager avec moi, je refuse gentiment, pauvres gosses je vais pas leur manger leurs gâteaux. Ils finissent par se disperser et doivent normalement revenir la semaine prochaine. Je trouvais déjà les gamins particulièrement mignons ici, mais je n’aurais pas pensé être aussi touchée par tous ces mômes, par leur enthousiasme, leurs sourires, leurs câlins. On est ensuite rentrées avec Aleysha, on a mangé un plat à base de riz, de viande et de piment (heureusement, Loulou avait mis le piment à part parce qu’il arrachait vraiment). Après ça, on a tout simplement passé l’après-midi à discuter avec Aleysha, attablées à la grande table du salon. On a parlé de tout et de rien, principalement en anglais. Ce soir, il est prévu que l’on sorte avec des volontaires, car c’est le dernier soir de Toby et Nicole, ils partent demain.

Dimanche 7 août 2016

C’est déjà la fin du week-end, et il faut que je vous le raconte dans son intégralité. Vendredi soir, nous sommes donc sortis prendre un verre avec les autres volontaires. C’était fort heureusement juste à côté de chez nous, du coup on a pu y aller à pied. J’ai commandé un coca, sauf que ici les bouteilles sont gigantesques, c’est les ¾ d’un litre et j’ai eu toutes les peines du monde à le terminer. Parmi les nouveaux arrivants, on en trouve deux prêts à nous accompagner ce week-end à Kpalimé. Je demande à Emmanuel, le chauffeur de taxi-moto s’il peut venir me chercher demain pour m’emmener au rond-point « La Douane », lieu de départ des taxis pour Kpalimé. Il est d’accord, on se donne rendez-vous à 7h20 devant chez moi. Retour à la maison, je prépare mon sac et gros dodo. Le lendemain, petite toilette, petit déjeuner et à 7h18, je suis devant la porte, avec Loulou qui m’accompagne de peur que Emmanuel soit en retard. Elle me dit « Tu sais, l’heure togolaise… ». Je commence à me dire qu’elle a peut-être raison quand à 7h20 pétantes, Emmanuel arrive sur sa mobylette. Il est génial. Il me dépose au point de rendez-vous et comme nous sommes les premiers arrivés, il attend gentiment avec moi que tout le monde arrive. Enfin on est tous les 6, Tiffanie, Sam, Anna, Isabel, Diana et moi. On trouve un taxi, c’est 2 000 francs par personne, on embarque à 7 dans une bagnole, quatre derrière et trois devant. Alors que Tiffanie et moi commençons à nous serrer devant, cela ne semble visiblement pas logique au chauffeur qui nous dit « Non, la grosse devant » en parlant d’Isabel, un peu plus ronde que nous. Affreusement gênées, ne sachant plus si l’on doit rire ou prendre ça sérieusement, on fait comme si on n’avait pas entendu. Mais le chauffeur et les autres personnes autour pensent réellement que l’on n’a pas entendu et répètent tous à voix très haute « Non, la grosse devant » en montrant la pauvre Isabel du doigt. Finalement, Isabel restera à l’arrière avec Anna, Diana et Sam qui finit par s’endormir comme un bébé alors que la situation est on-ne-peut-plus inconfortable ni cocasse. Je fais le trajet avec une fesse sur les genoux de Tiffanie et l’autre sur la boîte de vitesses. C’est parti pour une bonne heure et demi de route. Le moins que l’on puisse dire c’est que ça tourne pas, c’est une route toute droite, qui traverse plusieurs villages, et qui contre toute attente n’est pas trop pourrie. On achète quelques trucs à bouffer aux gens qui nous les proposent à travers les fenêtres de la voiture, notamment les espèces de vieux chichis qu’un chauffeur de taxi nous avait fait goûter le premier jour. Après donc un peu plus de 150 kilomètres dans des positions improbables, on arrive à Kpalimé. On a rendez-vous avec notre guide à une station-essence. Jojo arrive une minute après, on fourre les sacs dans le coffre, on remonte à 7 dans la bagnole et c’est parti direction l’auberge. Les chambres sont des chambres de deux, je suis avec Tiffanie, on largue les sacs, on y reste juste le temps de se rendre compte que la chasse d’eau ne fonctionne pas et on repart pour une balade en forêt. On s’engage avec la bagnole sur un chemin, la route est déjà beaucoup moins bonne que la route nationale pour faire Lomé-Kpalimé, la voiture est une voiture lambda, pas un 4x4 donc elle touche quand il y a trop d’irrégularités (doux euphémisme). On finit par laisser la voiture dans le village de Kouma-Konda et on poursuit à pied. Dans le village, on nous montre comment les peintres locaux utilisent les plantes qu’ils trouvent dans la forêt pour réaliser des tableaux. Il y a de l’indigo pour le bleu, une écorce originaire de Madagascar pour le jaune, une plante avec des fleurs poilues pour le rouge (roukou, un nom comme ça…) et aussi le teck pour un rouge plus sombre. Il y a bien sûr des peintures à vendre, mais comme le week-end va finalement nous coûter plus cher que prévu, je dois faire attention à mes sous (je n’ai pas emmené tout mon argent mais juste ce que je pensais être nécessaire et qui au train où vont les choses, ne va peut-être pas suffire). En effet, quand on est arrivés, Jojo nous a expliqué que la voiture et l’essence n’étaient pas compris dans le prix qu’on nous avait annoncé et qu’il fallait rajouter 7 500 francs par personne. Le problème n’est pas tellement que ce soit plus cher, mais juste que je n’ai prévu qu’une somme limitée et que donc je dois faire attention si je veux pouvoir rentrer à Lomé sans devoir emprunter à quelqu’un. On part donc en forêt, Jojo nous explique les différents arbres et plantes, les fruits que l’on peut y cueillir, les bienfaits médicinaux que l’on peut en tirer. C’est intéressant, et surtout la forêt est magnifique, luxuriante, une vraie jungle. Ensuite on redescend vers un petit resto où l’on a déjà commandé notre déjeuner. Au menu, poulet, fufu et sauce à l’arachide. C’est la première fois que je goûte du fufu, qui est quasiment une institution togolaise. C’est une sorte de pâte à base d’igname pilé (on peut parfois voir des gens le piler dans de grands mortiers), que l’on accompagne d’une sauce, en l’occurrence une sauce à l’arachide. C’est plutôt bon. En fait, ça n’a pas réellement de goût, c’est assez neutre et le goût est apporté par la sauce, donc à partir du moment où la sauce est bonne, c’est bon. C’est un peu le même principe que les knedliky. D’ailleurs, je trouve que ça ressemble à du knedliky pas cuit. Ca se mange normalement avec les mains, mais les miennes sont tellement sales que je préfère ne pas prendre de risque et m’en tenir à une fourchette. On repart ensuite direction le haut d’une petite montagne, d’où on peut apercevoir le mont Agu (le mont le plus haut du Togo, qui culmine à 986 mètres si ma mémoire est bonne). A droite, c’est le Ghana. Il commence un peu à pleuvoir, du coup on ne s’éternise pas, juste le temps de contempler la vue magnifique et de prendre quelques photos. On redescend à Kpalimé en voiture, et Jojo nous laisse faire un tour d’une heure et demi dans le marché. Comme d’habitude, je n’ose pas vraiment prendre de photo mais j’arrive quand même à en prendre une d’une dame avec un magnifique étal de piments et de tomates. Je suis avec Diana, la volontaire espagnole qui est arrivée hier, on marche, on marche, on essaie de ne pas se faire renverser par une mobylette, on sourit aux nombreux « Yovo » qui nous sont adressés. Quand on arrive au milieu du « rayon poisson séché », on est obligées de faire demi-tour tant l’odeur est insoutenable. On finit par se perdre comme on a toutes les deux un très mauvais sens de l’orientation. Mais on retrouve bien vite le chemin. Diana est comme moi, elle est un peu juste niveau monnaie, donc on se comprend bien toutes les deux haha. On rejoint finalement les autres et Jojo, on retourne un peu à l’auberge et le soir, on va manger dans une sorte de restaurant où en fait ils n’ont rien, quand tu commandes quelque chose, ils doivent aller l’acheter au marché ou à la petite épicerie à côté. Je dîne d’une omelette et d’une salade d’avocats, malheureusement noyée de mayonnaise. On rentre dormir, Tiffanie branche le ventilateur (je n’en ai pas chez moi), on discute un peu et on s’endort bercées par Michel Sardou et sa maladie d’amour. Véridique.

Le lendemain, réveillées assez tôt par une autre musique, et par le raffut global du dehors. Petite douche (une vraie douche cette fois !), par contre toujours à l’eau froide et en fait c’est même plus désagréable qu’avec les seaux. Jojo vient nous chercher à 8h et ils nous emmènent prendre le petit déjeuner dans un boui-boui, où on se retrouve tous attablés à une table avec une toile cirée en lambeaux. Je commande une omelette et un Milo, c’est une sorte de chocolat en poudre additionné de lait concentré sucré sur lequel on verse de l’eau chaude. Pas dégueu, ça gagne à être connu même si c’est extrêmement sucré. Après ça, on embarque à nouveau dans la bagnole pour une heure de voiture sur les pires routes que j’ai pu voire de ma vie. Par moments, il y a un reste de goudron, mais il est littéralement fendu en deux et c’est en réalité une sorte de tranchée. Je ne parle même pas des trous qui parsèment la route et entre lesquels Jojo slalome. Arrive un moment où il n’est même plus question de goudron, le problème c’est que ce n’est pas une simple piste de sable, ce qui ne poserait pas de vrais problèmes. J’ai l’impression de tenter de faire passer une bagnole dans une carrière de pierres. De surcroît, ce n’est pas un 4x4 donc on cogne le sol ou les pierres assez régulièrement. Je profiterai d’un arrêt un peu plus loin pour regarder le nombre de kilomètres au compteur. Plus de 230 000… Quand Jojo va pour ouvrir sa portière, la poignée lui reste dans la main. Celle côté passager ne fonctionne plus depuis belle lurette, et on est obligés d’ouvrir avec la poignée intérieur en passant le bras à travers la vitre. On finit par se garer et on commence à marcher dans la forêt. Le chemin est un peu difficile, surtout pour Isabel qui souffre d’asthme. Enfin, on arrive à la cascade. Comme on est partis assez tôt, il n’y a encore personne, on peut profiter tranquillement de la cascade, du paysage magnifique, prendre des photos. On commence à se mouiller les pieds, puis n’y tenant plus, Anna et Diana se lancent. Je les regarde, je meurs d’envie de faire pareil sauf que j’ai évidemment oublié mon maillot de bain. Tiffanie me prête son bandeau, je me baignerai donc en bandeau et en culotte, et visiblement tout le monde s’en fout. Entre temps, une bonne trentaine de personnes sont arrivées. Pas mal de touristes accompagnés par des groupes de Togolais. Ils sortent les djembés et ça commence à chanter et à danser. Jojo nous a prévu un pique-nique à base d’avocats, de pain et d’ananas. Les avocats sont exquis, les ananas encore plus. Pour se changer, c’est vestiaire dans une espèce de grotte, je tiens une serviette autour d’Anna pour qu’elle puisse se changer. On redescend de la cascade, on se retape le chemin de l’extrême en sens inverse et arrivés à Kpalimé, Jojo nous dit qu’il va nous appeler un chauffeur. On voit alors une grosse voiture arriver, une sorte de monospace d’un autre âge, mais plus que confortable pour les six personnes que nous sommes. Jojo nous dit que comme la voiture est pour 8 personnes, le chauffeur prendra 2 personnes de plus. Ok, pas de souci. Mais c’était sans compter que nous sommes au Togo, que la notion de place n’est pas la même qu’en Europe. On finit à 16 dans la voiture, serrés comme des sardines. Une petite fille pique un roupillon dans les bras d’Isabel, la maman s’endort sur l’épaule de la dame qu’elle a quasi sur les genoux. Sam assis à côté du chauffeur, finit également avec une jeune femme sur les genoux. Nous n’avions pas vraiment compris que le véhicule dans lequel nous étions montés était un taxi-brousse, c’est-à-dire un de ces taxis qui s’arrêtent un peu partout, dès qu’une personne le demande, qui charge un nombre incalculable de personnes, de bagages. Je finis avec mon sac entre les jambes puisqu’il tombe à chaque fois que l’on ouvre le coffre, globalement tous les kilomètres. On s’arrête, des gens montent, descendent, prennent des bagages, en redéposent, achètent des ananas. A chaque fois que l’on s’arrête, des mains et des bras font irruption dans la voiture par la fenêtre pour nous proposer d’acheter des choses à grignoter. Les espèces de vieux chichis que l’on a déjà goûtés, mais aussi des œufs. Quand je vois un petit gamin s’emparer d’un œuf, je me demande ce qu’il va bien pouvoir en faire, mais il s’agit en fait d’un œuf dur, que Tiffanie lui épluche pour qu’il le mange en guise de goûter. Evidemment, les coquilles finissent par la fenêtre. Ayant demandé à Emmanuel (le chauffeur de taxi-moto) de venir me chercher, je me demande combien de temps le malheureux va devoir m’attendre. J’essaie de lui envoyer des messages pour le tenir au maximum au courant de notre progression. Mais ça n’a pas l’air de l’affoler plus que ça. Arrivés à Lomé, Diana et moi devons aller faire du change pour payer le taxi puisque celui-ci nous proposait de payer 2 500 au lieu de 2 000 parce qu’il ne pouvait pas nous rendre la monnaie. Mais on a trouvé la parade et les magasins alentour ont eu la gentillesse de nous faire la monnaie. Je rejoins finalement Emmanuel qui m’a gentiment attendue et il me ramène à la maison. Je lui donne un peu plus que le prix de la course pour le remercier de m’avoir attendue aussi longtemps et je rentre finalement à la maison. Je vais dire bonjour à Prudence et faire un bisou à Loulou que je trouve occupée à frire des rondelles de banane plantain dans de l’huile. Elle m’annonce que ce sera notre petit goûter. Je vais voir Aleysha pour lui raconter mon week-end. Loulou nous appelle finalement pour déguster les exquises bananes que l’on grignote dans le jardin. Les bananes plantain frites, c’est clairement un des meilleurs trucs que j’ai pu manger dans ma vie. Je dois impérativement me laver les cheveux puisque ça fait une semaine qu’ils n’ont pas vu un shampooing, qu’ils sont dégueulasses et ont moyennement apprécié la cascade. Sauf que laver ma tignasse avec un robinet et deux seaux, ça va être quelque chose. Bref, je finis avec un quasi torticolis à force de me contorsionner pour réussir à me rincer la tête. Le soir, Aleysha et moi dînons de viande de porc grillée et de frites. On fait quelques parties de cartes dans le jardin et épuisée par mon week-end, je m’endors dans ma nouvelle chambre. Comme Toby est parti, j’ai déménagé dans l’autre bâtiment. Bonne nuit ! 

jeudi 18 août 2016

Yovo in Togo (#2)

Mercredi 3 août 2016

Bonjour, bonjour. Première nuit réussie peut-on dire. Hier soir, complètement épuisée par le voyage et par ma première journée, plus un petit décalage horaire de deux heures en moins par rapport à Paris, je me suis endormie à 20h30 comme un gros bébé. L’oreiller étant atrocement raide, je l’ai tout simplement poussé et j’ai dormi la tête sur le matelas. Le tout sous ma moustiquaire aspergée de répulsif anti-moustiques, dans mon pyjama imprégné de répulsif à moustiques, étant moins même enduite de répulsif à moustiques. Plus les moustiquaires aux fenêtres et les divers « pschitt » que j’ai pu mettre un peu partout dans la chambre. Moi paranoïaque ? Un peu sans doute, mais faut pas déconner, le palu ça me tente moyen. Gros dodo disais-je donc, j’ai juste été réveillée à 4h30 par tous les coqs du quartier pour qui il était visiblement l’heure de se réveiller, puis une nuée de piafs en tous genres a pris le relais sur les coups de 5h du mat’ et de toutes façons le soleil se levait donc j’ai renoncé à me rendormir. Oui, il faut bien savoir que ici le soleil se lève et se couche très tôt. Genre à 4h30 il fait déjà très très clair par contre à 17h30, la nuit commence vraiment à tomber. Je me suis donc levée et je suis allée prendre ma douche. Tout du moins me laver. Pour l’instant ça va, par contre quand je vais devoir me laver les cheveux, on va rigoler. Pour l’instant, je ne me sens pas encore trop crade, mais mes vêtements sont encore propres et sentent bon la lessive (plus un peu de répulsif à moustiques…). On en reparle dans trois semaines. Et je ne vous parle pas de la couleur de l’eau (enfin si, parlons-en, elle est un peu jaunâtre et un peu trouble, mais ça pourrait clairement être pire).

(…) Dans la maison, il y a un jeune garçon qui vit avec nous. Il s’appelle Prudence, il a 16 ans et il aide Loulou pour les tâches ménagères, etc. Et ça me gêne toujours un peu quand il m’apporte mon thé, quand il débarrasse la table, etc. Du coup ce matin, comme il était dehors quand j’ai fini mon petit déjeuner, j’ai fait ma vaisselle moi-même. Après je me suis installée sur la terrasse pour lire le petit livret qui nous est fourni par Projects Abroad et j’en ai profité pour discuter un peu avec lui. On a entre autres parlé foot. Ensuite une dame est arrivée, je l’ai saluée. Elle s’appelle Stella et elle est couturière. On a commencé à discuter, et dix minutes plus tard on se montrait les photos de nos familles respectives et elle m’avait déjà invitée à aller visiter son village d’origine près de Togoville. C’est donc comme ça que Delphine m’a trouvée en arrivant. Papi, un des chauffeurs de taxi-moto qui travaillent pour Projects Abroad nous accompagnait. J’ai pu noter qu’il était d’une grande galanterie envers Delphine et envers moi. Par exemple, il portait le sac de Delphine, nous tenait la porte lorsque nous sortions, etc. Après quelques minutes de marche, nous arrivons au RELUTET, une des associations avec lesquelles Projects Abroad travaille. Malheureusement la directrice était partie le matin même en voyage, et du coup on ne pouvait pas m’insérer dans l’association. Du coup, Delphine m’a emmenée à ASFEEN, une autre association qui fait en fait exactement la même chose que le RELUTET, à savoir lutter pour les droits des femmes et des enfants, et tout particulièrement lutter contre la traite des enfants par le biais de la scolarisation. Delphine me présente Madame Brigitte, la directrice de l’association, ainsi que ses collaborateurs, Martin et Salomé. Elle m’explique un peu les principales actions de l’association, me montre des photos des interventions qu’ils font dans les écoles, etc. Ensuite, on part en voiture, avec madame Brigitte, Salomé, et Aleysha, la volontaire écossaise qui vit avec moi et fait aussi le projet « Droits de l’homme ». En allant chercher la voiture, on croise la fille de Salomé, une adorable petite gamine de 2 ans. Et je fais un coucou à sa copine qui l’attend sur le pas de la porte, je lui envoie un bisou avec ma main et la petite me le renvoie. Ca peut paraître idiot mais j’en avais les larmes aux yeux. Bref, on part en voiture rendre une « visite de courtoisie » au chef de la brigade des mineurs du coin. Sauf qu’il va nous falloir une autorisation du service pénitentiaire pour aller visiter pour de bon. Soit, les démarches seront lancées. Ensuite on rentre au bureau et j’en profite pour lire un peu des documents sur la traite des enfants dans cette région du monde (l’Afrique de l’ouest pour ceux qui seraient vraiment fâchés avec la géographie).  
Je discute un peu avec Aleysha et finit par germer dans notre esprit l’idée de promouvoir auprès de la population, et plus particulièrement des femmes, l’importance de déclarer son enfant aux registres d’état-civil. En effet, ce qui semble être une formalité incontournable en France n’est pas automatique ici, et malheureusement beaucoup d’enfants ne sont pas déclarés. Sauf que ne pas déclarer son enfant signifie le priver de personnalité juridique et donc d’avenir globalement. Car sans personnalité juridique, on ne peut pas dépasser l’école primaire, on ne peut pas ouvrir de compte en banque, on ne peut pas se marier, ni avoir de nationalité, etc. Bref, une catastrophe. Notre objectif est donc d’aller dans les hôpitaux, maternités, écoles de sages-femmes, rencontrer le personnel hospitalier, leur expliquer l’importance et la démarche de déclaration de naissance, afin qu’eux-mêmes transmettent l’information aux futures et jeunes mamans. Le tout, armés de notre petite affichette soigneusement rédigée. On ira aussi au marché, et auprès des groupements de femmes du quartier pour essayer de les sensibiliser aussi. Voilà un peu le programme pour le moment. Après avoir peaufiné ça, on en a fait part à Martin et Salomé, dont le visage s’est fendu d’un large sourire et leur enthousiasme faisait plaisir à voir. Même son de cloche auprès de Madame Brigitte qui a semblé en total accord avec notre projet. On est ensuite rentrées déjeuner à la maison. Loulou nous avait préparé une délicieuse omelette aux tomates et au piment avec du riz, j’ai mangé comme quatre. Repue, j’ai accompagné Aleysha qui voulait aller acheter un truc dans une épicerie, on a fait un petit tour à pied. Les enfants sont trop mignons, ils nous observent, nous regardent avec de grands yeux curieux, nous font des sourires et des signes de la main. Et ils chantent la chanson du « Yovo ». « Yovo » au Togo ça veut dire « le Blanc » (ou la Blanche en l’occurrence, et en ce qui me concerne, le surnom n’est pas volé…). Là, je suis en train de rédiger ce journal sur la terrasse et on va bientôt retourner travailler.

(…) Nous sommes donc retournées travailler de 15h à 17h, on a peaufiné les questions que l’on veut poser au centre d’état-civil demain, ainsi qu’aux enfants vendredi. On a rediscuté du projet avec madame Brigitte, elle aussi très enthousiaste. On est allées demander à la pharmacie du quartier si on pourrait y mettre notre affiche, là encore, oui c’est possible. Ce qui me semble pour le moment très encourageant, c’est que les gens ont l’air toujours motivés, enthousiastes à l’idée d’essayer d’améliorer les choses, même s’il faut bien garder à l’esprit que le problème crucial reste les moyens financiers. On a discuté avec Martin et Salomé et on a appris avec horreur que non seulement, les mères devaient payer pour enregistrer leur enfant au registre d’état-civil (en théorie, c’est gratuit mais dans les faits il faut payer). Puis, il faut payer pour avoir la nationalité togolaise, et enfin payer pour obtenir une carte d’identité. Ce qui m’a le plus sciée était qu’il faille payer pour avoir une nationalité. Je demande donc à Martin « Mais les gens qui n’ont pas les moyens de payer, ils n’ont pas de nationalité ? », « Non ». Je précise que dans les textes de lois togolais, il est inscrit que tout enfant « a droit à une nationalité ». Et je précise également que les plus hauts textes internationaux (conventions de Genève, etc.) interdisent aux Etats de rendre les gens apatrides, c’est à dire sans nationalité. Martin me répond « C’est le problème de l’Afrique, ici tu n’as un droit que si tu as le moyen de le payer ». J’avoue qu’Aleysha et moi, on est restées sans voix. Juridiquement, pour moi, c’est catastrophique, ça bafoue les droits les plus élémentaires, mais Martin a raison, c’est la réalité togolaise, et plus largement africaine.
Après cette conversation édifiante, la fille de Salomé (Benny) et son amie (la petite qui m’envoyait des bisous le matin), sont entrées dans le bureau. Benny se juche sur les genoux de sa maman, et la petite Elisabeth ne tarde pas à faire pareil sur les miens. Elle y passe une bonne partie de l’après-midi, à jouer avec mes doigts. Cette gamine est à croquer tellement elle est mignonne.
On est ensuite rentrées, Toby et Nicole (une volontaire qui habite dans une autre maison) étaient là, on a discuté un bon moment, je suis tombée amoureuse de la robe que Nicole s’est fait faire ici dans un tissu africain, il n’est pas exclu que je m’en fasse faire une aussi. Loulou avait préparé du poisson ce soir, j’avoue que j’ai tenté, mais c’était du poisson séché et fumé, le truc absolument épouvantable pour moi, donc à la première bouchée et après être tombée sur une arête et un restant d’écaille, j’ai déclaré forfait, et me suis rabattue sur les œufs qu’Aleysha ne voulait pas, sur les ignames que je mangeais pour la première fois et la sauce à base de tomates et de piment. Contre toute attente, le piment passe pas trop mal ici. Les autres sortaient prendre un verre car demain une des volontaires s’en va mais je ne vois pas exactement qui, j’étais claquée et le taxi-moto de nuit ne me disait pas plus que ça, du coup je suis allée me coucher.

Jeudi 4 août 2016

Ce matin, réveillée à 5h30 par un raffut de tous les diables dehors. J’ai pas compris ce que c’était, mais ensuite les coqs et la volière ont pris le relais. Ce soir, je mets les boules Quies. Toilette, fringues plutôt classes car aujourd’hui nous allons au tribunal et normalement interviewer quelqu’un responsable de l’état-civil pour obtenir des informations sur l’enregistrement de naissance. Petit déjeuner toujours à base de pain et de confiture, thé et jus d’oranges pressées. Je pars au bureau avec Aleysha. Quand je passe devant la maison de la petite fille d’hier, elle se jette aussitôt dans mes bras et vient au bureau avec nous. A 8h30, on prend la voiture direction l’hôtel de ville. On arrive en plein mariage, un grand groupe de personnes vêtues de costumes traditionnels aux couleurs vives. On se faufile pour arriver au secrétariat. J’explique notre démarche, on nous envoie au bureau d’à côté. Je réexplique notre démarche. Là on nous dit qu’il faut aller directement à l’état-civil. On s’y rend toujours en voiture (l’association a une voiture avec un chauffeur à disposition, qui est en fait je crois la voiture et le chauffeur de la directrice mais qu’elle nous a laissés pour la matinée). On arrive donc à l’état-civil, on nous fait rentrer dans le bureau du responsable. Au début, j’ai eu peur qu’il nous envoie balader direct. Il semblait regarder dans le vide les yeux mi-clos et je n’arrivais pas à savoir s’il réfléchissait, s’il se foutait royalement de ce que je lui avais expliqué ou s’il avait envie de nous tordre le cou parce qu’on avait posé la mauvaise question. Il semblerait qu’il réfléchissait puisqu’il a fini par répondre à toutes nos questions avec précision et exhaustivité. On a pu obtenir toutes les informations que nous souhaitions. Il semble que des campagnes de sensibilisation aient déjà été effectuées mais de toute évidence, une petite piqûre de rappel ne serait pas inutile. Il a eu l’air d’approuver notre idée de sensibiliser le personnel médical, les sages-femmes, etc. Au cours de la conversation, je constate avec surprise que Salomé a d’ores et déjà retenu le slogan que j’ai proposé hier, preuve sans doute qu’il est susceptible d’interpeller les gens et de rester dans les esprits. Après quasi une heure, nous ressortons du bureau avec toutes les informations nécessaires. D’après ce que ce monsieur nous a expliqué, l’enregistrement de naissance est gratuit auprès des communes, malheureusement quelques fonctionnaires « indélicats » (je dirais malhonnêtes) profitent de l’ignorance des gens pour leur soutirer de l’argent. On se dirige ensuite vers le tribunal, malheureusement il n’y a pas d’audience aujourd’hui. On retentera la semaine prochaine. On rentre donc au bureau en voiture. On a décidé de faire désormais des journées « continues », sans pause pour se dégager les après-midi et pouvoir en profiter pour visiter des trucs. Sauf que à l’heure qu’il est je regrette amèrement ma décision, car je meurs littéralement de faim, Salomé aussi, et je pourrais m’envoyer une igname entière (et pourtant, Dieu sait si c’est bourratif).

Ah oui, j’ai aussi testé pour la première fois (et peut-être la dernière), les « toilettes » du bureau. Alors, ça ne mérite pas réellement le nom de toilettes. Il faut sortir, descendre quelques marches, entrer dans un petit couloir et là tu finis par tomber sur une cuvette de toilette d’un autre âge, affreusement sale, sans chasse d’eau, sans papier, sans lavabo et le pire de tout peut-être, sans porte. Mais ma vessie ne permettait aucun délai et après ce que j’ai déjà vécu à Shanghai, je ne suis plus à ça près.

Sur les coups de midi, Aleysha et moi étions totalement affamées, du coup on a demandé à Martin si on pouvait aller acheter quelque chose à manger, des fruits par exemple. Il a tenu à nous accompagner. On avait envie de bananes (même si malheureusement, ce n’est pas vraiment la saison), hélas la première vendeuse de fruits n’avait pas de bananes. On continue à marcher et on passe devant une dame qui coupe les noix de coco à la machette et les vend. Martin nous demande si on veut goûter. Aleysha n’aime pas ça mais moi je n’ai jamais vraiment goûté. Selon Martin, l’eau de coco est très riche nutritivement parlant et ils en boivent pour se protéger du paludisme. Soit, de toutes façons ça ne peut pas faire de mal. Martin m’offre généreusement la noix de coco, et en profite pour demander à la dame si je peux la prendre en photo pendant qu’elle découpe les noix de coco. Elle accepte de bonne grâce. Je bois l’eau de la coco, délicieuse, et Martin me montre comment récupérer la chair molle à l’aide d’une cuillère taillée dans les morceaux coupés de la coco. Il a l’air très heureux de me faire goûter ça, et s’ensuit une conversation sur la nourriture togolaise. Malheureusement, je n’ai pas encore eu l’occasion de goûter le « fufu » ni la « pâte », par contre bananes plantain et ignames, pas de souci pour moi. On poursuit notre chemin jusqu’à trouver une jeune fille qui vend des bananes. Martin négocie un peu pour nous, et on déguste nos bananes sur le chemin du retour (j’en garde une demain pour le petit déjeuner).

Au retour, Martin propose de nous diffuser un film qui a été réalisé par un groupement d’associations pour dénoncer les mariages forcés. J’apprends avec horreur que les mariages forcés ne sont pas seulement un arrangement entre familles dans lequel la jeune fille n’aurait pas son mot à dire. Cela prend purement et simplement la forme d’un enlèvement, la famille de la jeune fille étant parfaitement consentante, et la jeune fille est parfois séquestrée pendant plusieurs semaines jusqu’à ce que l’on soit convaincu qu’elle ne va pas s’échapper.  J’aurai d’autres questions à poser à Martin demain sur ce sujet.

On rentre à la maison, on déguste un délicieux plat de lentilles aux légumes concocté par Loulou et on prend ensuite la direction du marché de Totsi. C’est à un quart d’heure à pied environ. Marcher à pied dans Lomé quand on est blanc, ça veut dire devoir décliner toutes les trois minutes environ les propositions des chauffeurs de taxi-moto. Mais ils ne sont pas plus insistants que ça. On arrive au marché, Aleysha cherche un tissu pour se faire faire des vêtements, j’ai aussi dans l’idée d’investir mais je commence par regarder. On fait environ une demi-douzaine de stands. Arrivées dans l’un d’entre eux, et alors que l’on discute avec la vendeuse, plusieurs femmes discutent et rigolent au stand d’en face. Je comprends qu’elles parlent de nous, car elles disent sans cesse « Yovo » (le Blanc). Je m’en amuse et dit à Aleysha que l’on parle de nous. Les jeunes femmes comprennent alors que je connais « Yovo » et ça a l’air de les faire beaucoup rire. Souvent quand on marche dans la rue, les enfants chantent une chanson dont je n’ai pas encore réussi à identifier toutes les paroles. C’est un truc du style « Yovo, yovo, bonsoir, bonsoir ».

On rentre à pied, on est complètement claquées, il faut dire qu’il fait assez chaud aujourd’hui et je crois qu’on ne va rien faire de particulier ce soir à part dîner et discuter.