Samedi 13 août 2016
Ce
week-end, je n’ai rien de particulier de prévu. La plupart de mes potes
volontaires sont partis au Ghana, mais je n’avais pas assez d’argent pour payer
le visa que l’on peut obtenir à la frontière et je n’avais qu’un visa à entrée
unique, donc si je sortais du territoire du Togo, je ne pouvais plus y revenir.
Le Ghana ce sera pour une autre fois. Je reste donc à Lomé ce week-end, Anna la
volontaire anglaise qui était avec moi à Kpalimé aussi, donc on va probablement
faire des trucs ensemble. Ce matin, nous avions d’ailleurs prévu d’aller au village
artisanal. J’ai profité d’être réveillée par l’appel à la prière/les
coqs/l’oiseau qui vit sous ma fenêtre pour me laver les cheveux, opération
toujours quelque peu périlleuse ici, j’ai pris mon petit déjeuner, Emmanuel est
venu me chercher à 9h30 et m’a déposée devant le village artisanal. Comme
d’habitude on discute en route. Hier soir, Isabel l’avait déjà appelé pour
qu’il vienne la chercher (c’est son chauffeur attitré, car il l’emmène tous les
jours au travail. Moi, comme mon travail est à 2 minutes de chez moi, j’y vais
à pied, donc je n’ai pas de chauffeur attitré) et donc il n’a pas pu me
ramener. Il me dit qu’il veut déménager et qu’il a trouvé une autre maison vers
la frontière avec le Ghana. Oui, j’ai oublié de le préciser mais la ville de
Lomé est totalement sur la frontière avec le Ghana et il suffit de changer de
quartier dans la ville pour arriver à la frontière. Devant le village
artisanal, je retrouve Anna. On fait le tour, c’est une sorte de petite cour
autour de laquelle sont disposés des stands, les artisans travaillent en même
temps et vendent le fruit de leur travail. Anna négocie une trousse (qu’elle
fait passer de 1 500 francs à 500 francs…, le genre de trucs dont je suis
parfaitement incapable haha). On arrive au niveau des cordonniers en plein
labeur, dont les gestes et le bruit du marteau me sont étrangement familiers. J’explique
au monsieur que mon père fait le même métier que lui et lui demande s’il
accepte que je le prenne en photo pour montrer à ma famille. Il accepte très
gentiment et dit « Bonjour Papa ! » quand je prends la photo. Les
Togolais n’ont pas volé leur réputation d’être un des peuples les plus
hospitaliers d’Afrique de l’Ouest. Après avoir fait le tour du village
artisanal, Anna et moi nous dirigeons vers le Musée national. En arrivant à
hauteur du musée, je retrouve Emmanuel, à qui j’avais dit que j’irai au musée
mais comme je ne savais pas combien de temps j’allais rester et que je lui
enverrai un message. Avec Anna, on entre dans le musée, c’est 2 500 francs
l’entrée. Le musée est exactement tel que le Routard le décrit. Certes, il est
relativement petit (deux salles), la collection n’est pas extrêmement riche
(ceci dit les œuvres ont été soit pillées, soit vendues à cause d’un manque de
moyens, et je pense qu’on doit pouvoir en retrouver un certain nombre à Paris
au musée du Quai Branly…), mais on sent une véritable volonté de mettre en
valeur la culture togolaise, de l’expliquer au visiteur. Les panneaux
explicatifs sont nombreux et bien rédigés. La première salle est consacrée aux
explications des pratiques artisanales selon les différentes régions du pays.
Les forgerons, la vannerie, des armes de la région de Bassar, des tissus, des
instruments de musique, etc. La plupart des volontaires m’avaient dit que le
musée n’était pas intéressant, que les œuvres les plus importantes avaient été
vendues, etc. Anna et moi sommes bien contentes d’avoir tenu à nous faire notre
propre opinion. C’est sûr que si on arrive dans ce musée en s’attendant à
visiter le Louvre ou le MET, on risque d’être relativement déçu. Le musée n’a
pas à rougir de sa collection, ni de sa présentation. La deuxième salle est
consacrée à l’histoire du pays, depuis la traite des esclaves jusqu’à
l’indépendance en 1960. On y voit de terribles menottes, chaînes et entraves.
On y trouve aussi des cartes datant de l’époque coloniale. Egalement des photos
du général de Gaulle en visite à Lomé. On peut également y voir le traité
instituant le protectorat allemand sur le Togo en 1884. Effectivement, le Togo
a d’abord été une colonie allemande, suite à ce protectorat et jusqu’à la fin
de la Première Guerre Mondiale. Les Allemands ayant perdu la guerre, ils ont
aussi perdu une bonne partie de leurs colonies, et le Togo a alors été rattaché
à l’empire colonial français. Le Togo français avait d’ailleurs été amputé
d’une partie de son territoire, rattaché au Ghana, sous domination britannique.
Mais 30 ans de domination allemande ont tout de même laissé une empreinte sur
le pays, ce qui le singularise par exemple du Bénin voisin. On trouve
d’ailleurs un Institut Goethe à Lomé (et par exemple, Emmanuel avait choisi
d’étudier l’allemand à l’université, malheureusement un manque de moyens
financiers l’a empêché de poursuivre). Il n’y avait personne quand on est
arrivées, mais la dame s’est empressée de nous allumer les ventilateurs. Un
autre groupe de touristes arrive au moment où nous partons. La dame nous
remercie chaleureusement de notre visite.
Devant
le musée, nous retrouvons donc Emmanuel qui m’a attendue tout le temps de ma
visite, on discute un peu avec lui, Anna décide de rentrer en taxi-partagé, je
rentre avec Emmanuel qui en route m’explique les noms des différents quartiers
de Lomé et leur origine. Il me redépose devant chez moi, je raconte à Loulou ma
visite du village artisanal et du musée. Pour ce midi, elle m’a préparé un des
plats que je préfère, du riz avec une sorte d’omelette aux légumes et au
piment, je me régale. La panse bien remplie, je décide d’aller faire une petite
sieste. Sieste qui finalement dure trois heures, ma moustiquaire en guise de
couverture. Je ne vais probablement rien faire d’autre aujourd’hui vu que la
nuit commence déjà à tomber. Demain c’est dimanche, Loulou m’a proposé d’aller
à l’église. Les voisins ont chanté un chant (religieux je pense puisque je
comprenais « Hosannah ») pendant une demi-heure, toute la famille s’y
est mise.
Dimanche 14 août 2016
Hier
soir, je suis allée discuter avec Loulou pendant qu’elle cuisinait. Je me suis
ensuite régalée d’une assiette de spaghetti au piment et de frites de bananes
plantain (mon péché mignon ici !). Et dodo ! Ce matin, j’avais dit à
Loulou que je l’accompagnerais à la messe. On part à 8h, direction le collège
protestant, dans l’enceinte duquel la messe est célébrée. Loulou m’a expliqué qu’ils
étaient en train de construire l’église mais que pour l’instant, la messe était
célébrée dans les locaux du collège. Pour l’occasion, Loulou s’est mise sur son
31, boubou dans les tons jaune-orangé, anneaux en or aux oreilles. Je me sens
passablement pouilleuse mais elle me dit que je suis très bien. Elle tient à m’acheter
une bouteille d’eau, de peur sans doute que je me dessèche totalement pendant
la messe. On entre dans une petite boutique, et je n’ai pas compris pourquoi ni
comment mais un monsieur que l’on ne connaissait ni d’Eve ni d’Adam a payé ma
bouteille d’eau. On prend ensuite un taxi partagé qui nous dépose devant le
collège. On entre dans la grande salle qui sert à rassembler tous les étudiants
le lundi matin pour « placer la semaine dans les mains de Dieu »
selon les termes de Loulou. Soit. Une croix pailletée en mode disco des années
80 a été accrochée. Au pied de « l’autel », un incroyable amas de
nourriture et marchandises en tous genres. Je mets un moment à comprendre que
oui, il y a bel et bien un coq vivant dans un panier au pied de l’autel et de toute
évidence, il s’impatiente. Loulou m’explique qu’après la messe, il y a une
vente aux enchères pour récolter de l’argent pour l’église. La salle se remplit
petit à petit, Loulou connaît visiblement beaucoup de monde, tout le monde me
salue comme si j’étais de la famille. Je me retrouve coincée entre Loulou et
une dame au tour de taille tout à fait honorable. Après une bonne trentaine de
poignées de mains, ça commence. Une chorale fait son entrée, des femmes
habillées comme les étudiants américains lors de leur remise de diplôme,
chapeau à l’appui, des hommes, etc. Ils chantent une chanson plutôt
entraînante, dans laquelle je reconnais « merci » en éwé. Je serais
prête à parier que le refrain était un truc du style « merci Seigneur,
merci, merci ». Une deuxième chorale fait son entrée, composée
exclusivement de femmes vêtues de blanc et de vert, comme la semaine dernière à
Kpalimé. La messe est entièrement en éwé, donc inutile de vous dire que je ne
comprends pas grand-chose à part « Amen ». J’ai oublié de préciser
que Loulou n’est pas la seule à avoir sorti ses vêtements de fête, l’assemblée
est un vaste parterre multicolore, boubous des grands jours, rehaussés de
paillettes, broderies, etc., les bijoux sont de sortie, ainsi que les chapeaux,
turbans et autres coiffes. Le pasteur fait son sermon, Loulou m’en traduit la
majeure partie à l’oreille mais j’ai beaucoup de mal à l’entendre car la sono
n’est pas des plus mauvaises. Ensuite, la fanfare reprend du service et c’est
le moment de la quête. Il était visiblement inconcevable que je ne donne rien,
je me suis donc fendue de 250 francs. Il faut savoir que la quête est plutôt
marrante ici. Ce n’est pas une petite corbeille que l’on fait passer dans les
rangs, non non, tout le monde se lève et va déposer sa petite obole dans la
boîte. On commence par les membres des chorales, puis vient le tour des mamans
avec enfants, puis tout le monde se lève rang par rang. Dans toute l’assemblée,
nous sommes 3 « Yovos » et une albinos. C’est donc tout le parterre
qui se lève et se dirige vers la boîte en se trémoussant au rythme de la
musique. Tout le monde se rassoit, petite chanson, et la messe est finie. Une
partie de l’assemblée quitte les lieux. C’est le tour de la vente aux enchères
au profit de l’église. La musique reprend, et de partout on amène de la
nourriture et des marchandises en tous genres. Des tomates, des ignames, des
ananas, des bananes, des boîtes de je-ne-sais-quoi, des pagnes, des beignets,
des poules, des chèvres (vivantes), etc., etc. Environ 15 personnes s’affairent
derrière le « commissaire-priseur » pour arranger des lots d’articles
dans de grands paniers. La vente aux enchères commence par une bouteille d’eau.
Et c’est là que l’affaire a pris un tour que je n’ai que moyennement apprécié. Quelqu’un
a acheté cette bouteille d’eau 10 000 francs CFA, c’est-à-dire environ 15
euros. Je passe ici mes journées à constater la misère, la pauvreté, le manque
criant de moyens financiers. On m’explique que des familles n’ont pas 6 000
francs pour obtenir un jugement supplétif, et donc une personnalité juridique,
et donc un avenir à leurs enfants. Et à côté de ça, certains sont prêts à
filer 10 000 francs à l’église en échange d’une bouteille d’eau ? Je sais
l’importance de la religion pour les Togolais, mais là, c’est quand même
difficile pour moi de constater ça. Je reste un moment dubitative, voire même
légèrement agacée. Bien sûr, il y a des inégalités de richesse partout, bien
sûr chacun fait ce qu’il veut de son argent, bien sûr la construction d’une
église est une cause tout à fait honorable. Néanmoins, je ne peux m’empêcher de
penser que cet argent pourrait être utilisé à des fins bien plus concrètement
utiles. Au bout de trois heures et demi de messe/fanfare/vente aux enchères,
j’avoue que je commence à trouver le temps long, surtout que tout est en éwé,
donc à part les prix qui sont dits en français, je ne comprends rien. Heureusement,
on lève le camp. On rentre à la maison, j’organise mon après-midi, le programme
est normalement d’aller voir le port de pêche et ensuite de retourner à la
messe, catholique cette fois, et non, je ne me suis pas transformée en
grenouille de bénitier. C’est juste que Anna joue de la flûte traversière dans
la chorale de cette église ce soir et j’ai envie d’aller l’écouter jouer.
(…) Cet
après-midi, Emmanuel est donc venu me chercher pour m’emmener au port de pêche.
Il devait initialement donner un cours de moto à un autre volontaire, mais
quand il a su que Anna ne serait pas avec moi, l’idée de me laisser seule au
port de pêche n’a pas semblé l’enthousiasmer plus que ça, et donc il a annulé
pour rester avec moi. Si je n’en voyais pas initialement la nécessité, j’avoue
qu’en arrivant là-bas j’étais bien contente d’être accompagnée. C’était loin,
plutôt paumé, coincé entre la cimenterie et les containers prêts à être
chargés, et on n’avait pas dû y voir un Yovo depuis l’époque de la construction
des pirogues, c’est-à-dire facile un demi-siècle. Alors une Yovo, et de
surcroît toute seule, je pense que c’était juste inenvisageable. On fait donc
un bon moment de moto, passant par des quartiers de Lomé dans lesquels je ne
m’étais pas encore aventurée. Emmanuel ne désespère pas de m’apprendre les noms
des quartiers et je crois qu’il a encore l’espoir qu’un jour je me repère, mais
quand on est passés devant la statue devant laquelle on était passés à l’aller
et que j’étais toujours aussi paumée, je crois qu’il a compris que j’étais un
cas désespéré. On arrive au port de pêche, le garde à l’entrée a l’air de se
demander ce que une Yovo peut bien venir fabriquer ici. Quand Emmanuel lui
explique que je veux venir visiter le port de pêche, je vois à sa tête qu’il se
dit que je suis complètement frappée. Il nous pose 40 questions, est-ce que
l’on a un badge (évidemment non), est-ce que Emmanuel est zemidjen (chauffeur de taxi-moto, en l’occurrence, la réponse me
semblait assez évidente), est-ce que j’étais sa femme (là, on a commencé à le
perdre), est-ce que je voulais épouser un Togolais (là, on l’avait perdu).
Bref, comme cela était précisé dans le Routard, il faut donner un petit quelque
chose pour passer, j’entends parler de 1 000 francs, ce qui me semble un peu
exagéré, en ressortant Emmanuel me dit que 500 francs suffiront amplement et
effectivement, le garde est trop occupé à me faire de grands sourires pour
regarder le billet que je lui donne. On pénètre donc dans le port de pêche, on
gare la moto, et on s’aventure sur les pontons. Les pirogues sont là,
ancestrales, aux couleurs passées mais au charme intact, des gamins dorment sur
des filets, d’autres nous regardent avec de grands yeux, des moteurs sont
entreposés pour les plus petites embarcations. Une forêt de drapeaux aux
couleurs de pays totalement improbables (je ne suis pas sûre que la Croatie
soit parfaitement au courant qu’une pirogue d’un autre âge arbore son fameux
drapeau à damiers, tout comme je doute que l’Italie laisse naviguer ce genre
d’épaves flottantes en toute connaissance de cause). Je ne suis pas sûre que
ces bateaux battent réellement pavillon du pays du drapeau hissé, je crois
qu’ils ont surtout accroché le drapeau qu’ils ont trouvé, et très honnêtement
je l’espère, car ce serait purement et simplement criminel de la part desdits
Etats d’accorder leur pavillon à des bateaux dans un tel état. Je précise que
je n’ai pas vu de drapeau français. Il n’y a malheureusement pas de poisson
aujourd’hui, la grande halle des grossistes est vide. Je prends quelques
photos, et Emmanuel me propose de m’emmener voir la plage (« Pure
Plage »), à deux minutes d’ici. En route, on arrive, ça ressemble à une
plage privée mais en fait elle est gratuite. Il y a juste des transats qui
appartiennent à un restaurant et qu’on peut probablement louer si on le désire.
La plage est magnifique et contre toute attente, extrêmement propre, autant, si
ce n’est plus, que nos plages françaises. On voit que c’est l’océan, puisque
les vagues ne sont pas sans me rappeler le sud-ouest de la France… mais fort
heureusement quelqu’un a eu la bonne idée de construire une sorte de digue pour
briser les vagues, et donc au bord de la plage, elles sont tout à fait
raisonnables. Il me tarde de revenir avec mon maillot. On repart ensuite
direction le quartier de Totsi, pas loin de chez moi, pour assister au spectacle
de la chorale dans laquelle Anna doit jouer de la flûte traversière. Mais il
semble que l’on arrive trop tard et que la chorale d’Anna soit déjà passée.
Bien que protestant, Emmanuel a été assez gentil pour m’accompagner dans l’église
(catholique) et pour ensuite me redéposer chez moi puisque je ne suis pas sûre que
j’aurais pu retrouver ma rue dans la nuit, hahaha. En rentrant, Loulou
m’accueille avec le sourire et m’annonce que lors de la vente de ce matin,
l’église a récolté plus de 9 millions de francs CFA. Espérons qu’ils en fassent
bon usage… Je dîne d’une salade d’avocats, tomates, oignons et morceaux de
saucisse, et Loulou, de fort bonne humeur, me propose une petite tasse de thé
pour clore le repas. Je suis bien claquée par ma journée, le vent de la plage
et le trajet en moto m’ont vannée, demain matin je vais tenter une petite
grasse mat’, même si je sens d’ores et déjà que les coqs du quartier ne vont
pas être de cet avis. Eyitsor !
NB :
Juste pour info, et pour que vous compreniez mieux mon incrédulité de ce matin,
sachez qu’au Togo, le SMIC tourne aux alentours des 28 000 F. CFA par mois
(soit environ 42 euros…) et que le revenu national brut par habitant atteint
péniblement les 820 dollars… Je vous laisse juge.
PS :
Petits anecdotes supplémentaires sur la circulation à Lomé. Pour la première
fois, en montant dans le taxi partagé ce matin, comme je suis montée seule
devant, le chauffeur m’a demandé de mettre ma ceinture. Je ne m’y attendais
tellement pas que j’ai mis environ 20 secondes à comprendre de quoi il parlait.
J’ai aussi vu des policiers arrêter des motos parce que les conducteurs
n’avaient pas de casques. Par contre, pour les passagers, on s’en tamponne. Et
j’ai aussi vu un mouton vivant sur une moto. Non, je déconne pas.
Lundi 15 août 2016
Ce
matin, après l’échec cuisant de ma grasse matinée, je me suis levée, lavée,
j’ai pris mon petit déjeuner et enfilé mon maillot de bain car cet après-midi
je vais à la plage avec Anna. Aujourd’hui, c’est l’Assomption aussi au Togo, et
c’est également un jour férié. C’est l’occasion pour moi de vous faire un petit
topo sur la religion ou plutôt les religions au Togo, les croyances, etc. Du
moins ce que j’ai pu en apprendre en discutant avec les Togolais, et aussi ce
qu’en dit le Routard. Il semble que la moitié de la population soit composée
d’animistes. L’animisme, pour faire simple, c’est une croyance en une âme, une
force vitale qui animerait les êtres vivants, mais aussi les éléments naturels
(pierres, vents), et on croit aussi aux génies protecteurs. On compte aussi
près de 30% de chrétiens, dont un tiers se situe dans la région de Lomé
(majoritairement catholiques, mais il y a aussi des protestants). Et il est
évident que les sectes évangélistes ont le vent en poupe (Eglise des Assemblées
de Dieu du Togo, Témoins de Jéhovah, etc.). Les musulmans sont environ 20% et
sont plutôt dans le nord du pays, même si on en voit aussi à Lomé.
Même
s’il y a donc de nombreux chrétiens, on ne peut pas totalement exclure la place
des croyances traditionnelles, du vaudou, des féticheurs, etc. Je discutais
hier avec Emmanuel de tout ça, essayant de voir s’il y croyait ou pas (il m’a
dit qu’il fréquentait l’église protestante). Je lui raconte les histoires
gabonaises d’Hugo et il a l’air de trouver ça parfaitement normal. Je lui
demande s’il croit aux envoûtements, etc. Il ne dit pas vraiment non, me disant
« Si des gens disent que ça existe… ». Et il m’explique que si tu as
une dispute ou un problème avec quelqu’un, alors la personne peut t’envoûter et
il faudra que tu ailles voir un féticheur pour qu’il fasse sortir l’envoûtement
de toi. Je suis restée, vous vous en doutez, quelque peu perplexe. Mais je
pense que malgré l’importance indéniable du christianisme (toutes églises
confondues), même les jeunes générations ne peuvent pas se détacher totalement
des croyances ancestrales et beaucoup de Togolais restent superstitieux. Pour
en revenir au christianisme, on voit ENORMEMENT d’affiches, de publicités,
d’inscriptions faisant référence à Dieu et à Jésus. Par exemple, on voit
partout des voitures ou des motos portant des inscriptions du style « Jésus
est la solution », « Dieu seul suffit », « God’s
power », etc. Même chose sur les bateaux hier au port. On voit aussi
beaucoup de publicité pour les sectes évangéliques, etc. et le moins que l’on
puisse dire, c’est qu’ils utilisent des mots percutants. Il y en a une qu’on
voit partout dans Lomé qui dit « No Jesus, no life, Sans Jésus tu n’es
qu’un cadavre ambulant ». Il semblerait qu’Aleysha ne s’en soit toujours
pas remise car elle étouffe un ricanement à chaque fois qu’on croise ladite
publicité (et on la croise relativement souvent). Il y aussi beaucoup de noms
de magasins qui font référence à la religion, chrétienne ou musulmane (j’ai vu
un magasin hier qui s’appelait Incha Allah, oui, oui avec un A supplémentaire).
Une
des questions que les Togolais risquent de vous poser rapidement est
« Quelle église tu fréquentes ? ». Martin, notre collègue nous
l’a déjà posée, et la réponse « Je ne crois pas en Dieu » semble leur
paraître très bizarre. Du coup, maintenant j’explique que ma maman est
catholique, mais que moi je ne crois pas vraiment en Dieu, mais qu’en France
c’est comme ça, que l’on peut ne pas croire ou croire en ce que l’on veut.
Pour
ce qui est des questions concernant la famille, etc., je peux dire qu’ici j’ai
la chance d’avoir une famille qui exerce des métiers manuels, ce sont des
métiers qui existent aussi ici et qui parlent à tout le monde. Quand je dis que
mes frères sont mécanicien et cordonnier (je simplifie un peu mais globalement,
c’est ça), ça parle à tout le monde. Si je devais commencer à expliquer ce que
c’est qu’un chef de projet ou un métier du même style, ce serait sans doute
beaucoup plus difficile. Un autre truc, être enfant unique ne semble pas
exister ici, tout le monde a des frères et sœurs, et dans le cas des familles
polygames, encore plus de frères et sœurs.
Ah,
il faut aussi que je vous explique le système des prénoms. La majorité des
Togolais ont deux prénoms, un prénom togolais (qui dépend du jour de leur naissance)
et un prénom français pour ceux qui sont chrétiens, arabe pour ceux qui sont
musulmans. Par exemple, Lucia (la dame d’AFEL) s’appelle Essi en prénom
togolais (elle est née un dimanche) et Lucia en prénom de baptême. Emmanuel s’appelle
Kodjo en prénom togolais (il est né un lundi) et Emmanuel en prénom de baptême.
J’ai demandé à Delphine comment s’appellent les filles nées un mercredi, je
m’appellerais donc Akou si j’étais née ici. Prudence s’appelle aussi Yaou (il
est né un jeudi). Certains utilisent plus volontiers leur prénom togolais,
d’autres, surtout quand ils se présentent à des étrangers, utilisent plus leur
prénom de baptême. Ah oui, et ici « Fanta » est un prénom féminin, et
pas seulement une boisson à l’orange…
Je
change totalement de sujet, j’en suis désolée, mais Diana m’a expliqué qu’elle
avait apporté un peu de matériel d’Espagne, dont une bande autocollante que
l’on peut mettre lorsque l’on a reçu un choc. Elle m’a dit qu’elle avait montré
à ses collègues ici comment l’utiliser et qu’ils étaient tout contents avec
lesdites bandes. Je me réjouis que Diana ait pu apporter ce petit progrès et
qu’elle ait réussi à expliquer les bienfaits de ce procédé.
(…)
Nous sommes déjà mardi matin, hier j’étais trop fatiguée pour vous raconter ma journée,
et elle fut riche en émotions. Le matin, rien de particulier, j’ai lavé mes
sous-vêtements à la main, mes chaussettes n’ont toujours pas retrouvé leur
couleur d’origine et même après trois machines, je ne suis pas sûre qu’elles la
retrouvent un jour, mais qu’importe. J’ai déjeuné et Emmanuel est venu me
chercher pour m’emmener à la plage retrouver Anna. Le pauvre Emmanuel m’avait
prévenue qu’il aurait du retard car Marcos (le volontaire à qui il donne les
leçons de moto avait mis plus de temps que prévu). Finalement, nous partons et
retrouvons Anna. On se balade un peu sur la « Pure plage »,
malheureusement dès que l’on s’éloigne de la plage qui appartient au
restaurant/bar, la plage est beaucoup plus sale, des détritus un peu partout, etc.
Et surtout, juste à côté de la Pure plage où des Blancs paient leur repas plus
de 15 000 F. CFA, on trouve un véritable bidonville, aux murs et aux toits de
tôle. Ca fait mal au cœur. En continuant un peu sur la Pure plage, on finit par
tomber sur Sam et Annaëlle, en balade eux aussi, en compagnie de Junior, le
fils de leur famille. Avec Anna, on tente un petit bain, mais il y a énormément
de vent aujourd’hui, les vagues sont énormes (même si brisées par la digue), et
surtout il ne fait pas super chaud. Les pieds dans l’eau suffiront. On repart
de la plage, il commence à pleuvoir. Au début, un petit crachin digne d’une
météo bretonne, mais la pluie s’intensifie. Evidemment, sur la moto, c’est
moyennement agréable. On s’arrête quelque part, et on se réfugie sous un petit
auvent. Emmanuel en profite pour me faire goûter le souchet. Alors oui, oui,
souchet est le mot français, c’est juste un truc que je n’ai jamais vu en
France, c’est comme un petit fruit séché. Ca se mâche, le goût n’est pas
mauvais, sucré. Par contre, après c’est un peu étrange. Je mâche, je mâche, je
mâche, mais je n’arrive pas à déglutir ce truc, c’est sec, plein de fibres. Je
regarde Emmanuel avec une grimace qui me dit « Ah mais il faut cracher le
reste ! ». Haha ça faisait trois bonnes minutes que j’essayais
d’avaler ce truc. Donc en fait, une fois que tu l’as bien mâchouillé et que tu
en as extrait le truc sucré, tu peux cracher le reste. En bonne Française qui
se respecte, je déteste cracher devant quelqu’un, surtout dans la rue, par
terre. Mais c’est ça où m’étrangler avec le reste du souchet. Je crache donc
mes bouts de souchet mâchouillé. La pluie finit par se dissiper, on reprend la
route. On n’a pas fait 500 mètres qu’on est témoins d’un sérieux accident. Deux
motos se percutent, les conducteurs tombent et une troisième vient percuter le
tas de ferraille et les deux hommes à terre. Il y a des morceaux de motos qui
ont volé un peu partout. L’un d’entre eux se relève, le deuxième reste sur la
chaussée, sans casque et il ne bouge pas… Emmanuel s’est arrêté un peu plus
loin, discute avec les badauds autour, je suis littéralement horrifiée surtout
quand je vois les gens s’amasser et commencer à essayer de déplacer le blessé. Malheur,
il ne faut jamais faire ça… Je demande à Emmanuel s’il y a quelqu’un à appeler,
quelque chose à faire, mais il essaie de me rassurer en me disant que la police
et les secours vont venir (ce dont je doute quelque peu mais admettons). Je
dois être littéralement livide, encore plus « Yovo » que d’habitude. On
finit par repartir, je suis encore plus flippée qu’à l’ordinaire. J’ai appris
par Anna qu’Emmanuel avait perdu un de ses meilleurs amis il y a quelques
semaines, victime d’un accident de moto aussi. Non seulement la circulation ici
est démente, chaotique, les gens roulent sans casque, bras et jambes nus. Ils
roulent relativement vite (même si la chaussée est hérissée de dos d’ânes pour
tenter de faire ralentir les gens). Et comme si ça ne suffisait pas, lorsqu’il
y a un accident, les secours sont lents à venir, la médecine n’est évidemment
pas optimale et il faut payer ses soins. Une combinaison épouvantable…
Une
fois de plus, je suis vraiment navrée que ce journal prenne des accents
dramatiques, mais comme vous l’avez compris, je n’écris pas seulement pour
faire rire ou sourire, mais aussi pour rendre compte de ce que je vis, de mon
expérience dans un pays, qu’elle soit positive ou négative. Je ne prétends ni à
la parole d’évangile, ni à l’exhaustivité, je rapporte simplement ma propre
expérience, mes anecdotes et ce dont je suis témoin.
Je
suis donc rentrée hier soir un chouïa secouée, j’avais froid parce qu’il avait
plu et que la température avait chuté. J’ai mangé et je suis allée me coucher
sans demander mon reste.
Je
me suis réveillée un peu difficilement ce matin, la nuit avait été assez
désagréable, j’ai eu froid, je me suis réveillée plusieurs fois. Je me lève un
peu dans le coaltar, je vais me laver, l’eau me paraît encore plus froide que
d’habitude. Petit déjeuner et nous mettons le cap sur le Centre médico-social
de Djidjolé (notre quartier), nous attendons Martin et Salomé, rencontrons la
directrice qui me semble énergique. Lorsque beaucoup de femmes sont arrivées,
leur enfant sur les genoux pour les faire vacciner, nous commençons la
sensibilisation. J’ai encore du mal à émerger mais je ne dois pas me reposer
sur mes lauriers, tout le monde m’attend, me regarde et va m’écouter, donc je
me secoue un peu et commence mon speech. Je prends la parole devant tout le
monde, et la directrice de l’hôpital traduit en éwé. Plusieurs femmes posent
des questions, ce qui prouve une fois de plus que la démarche de la déclaration
à l’état-civil n’est pas automatique, n’est pas acquise pour tout le monde, et
que notre campagne de sensibilisation n’est pas inutile. Après avoir tenté de
répondre le plus précisément possible aux questions de toutes les femmes, nous
remercions la directrice pour son accueil et son aide, et nous retournons au
bureau. Ma petite Elisabeth ne tarde pas à faire son apparition, un biscuit à
la main et passera un bon moment sur mes genoux à jouer avec mon téléphone. Pour
la première fois, j’entends le son de sa voix car Madame Brigitte lui parle en
éwé, et la petite lui répond. Je pense qu’elle comprend un peu le français mais
elle ne le parle pas, donc je ne l’avais jamais entendu parler. En partant,
madame Brigitte suggère que Salomé et moi (Aleysha est partie en ville
renouveler son visa) allions rendre visite aux habitants d’une maison juste à
côté du bureau et donner ce qu’il nous reste de biscuits aux enfants. On
s’exécute. A peine ai-je franchi la porte de la « maison » qu’une des
enfants se met à hurler, à pleurer et à tenter de s’enfuir comme si j’étais le
diable en personne. Sa maman, de toute évidence gênée et confuse, tentait de la
forcer à venir près de moi, ce qui ne faisait que redoubler ses cris.
Horriblement mal à l’aise, je ne savais pas quoi faire, ne voulant pas
traumatiser davantage cette gamine. Je ne sais pas si elle n’avait jamais vu de
Blanc, si elle m’a prise pour un alien débarqué d’une autre planète, ou si elle
avait juste peur des Blancs pour une raison X ou Y. En tout cas, c’est bien la
première fois qu’une telle chose se passe. D’habitude, les enfants sont au
contraire très attirés par nous, ils nous font des signes, chantent la chanson
du Yovo, nous font des câlins dès qu’ils en ont l’occasion. Ca m’a fait un peu
de peine évidemment, mais je ne savais pas quoi faire d’autre que de donner un
biscuit à cette petite (qui l’a tout de même pris haha), et juste ne pas
insister davantage. Nous sommes donc rentrées au bureau où j’ai passé le
restant de la mâtinée à discuter de tout et de rien avec Martin et Salomé.
Salomé a eu beau rire quand je lui ai demandé si elle croyait aux esprits et
aux envoûtements, elle m’a tout de même répondu « Oui, en Afrique il y a
des esprits ». S’ils continuent tous comme ça, ils vont finir par me
mettre le doute.
Je
suis ensuite rentrée retrouver Aleysha qui avait finalement obtenu le
prolongement de son visa. Sur le chemin entre le bureau et la maison (trois
minutes à pied en marchant au rythme togolais), j’ai été saluée par les
sourires des enfants, des signes de la main au son, non plus seulement du
traditionnel « Yovo » mais de « Tata Laurianne » puisque
plusieurs de ces enfants étaient du groupe avec lequel nous travaillons le
vendredi.
Je
suis rentrée déjeuner, et nous sommes reparties vers 14h pour rejoindre le
bureau de Projects Abroad pour l’activité du mardi après-midi. Au programme
d’aujourd’hui, séance de peinture dans un orphelinat. Quand je dis peinture,
c’est peinture de mur au rouleau, rien d’artistique là-dedans (et encore moins
artistique que prévu vu le résultat…). Nous arrivons donc à l’orphelinat, on
nous prépare la peinture, distribue les rouleaux. Anna, Annaëlle, Tiffanie, Mar
et moi attaquons une chambre. La chambre est peinte initialement dans un bleu
assez vif, le mur est sale, craquelé de partout, et trônent au milieu de la
pièce des lits en métal avec des matelas par-dessus, le tout étant extrêmement
lourd et très difficile à déplacer. On essaie de bouger un peu tout ça pour se
dégager de la place, on attaque un mur à l’aide de nos rouleaux. Le résultat
est, soyons honnêtes, catastrophique. Il aurait fallu d’abord nettoyer le mur,
le réparer, le poncer, mettre un enduit et ensuite le repeindre avec une
peinture digne de ce nom. Inutile de vous dire que rien de tout ça n’est prévu,
on n’a même pas une bâche pour protéger le sol ou les lits. Verdict, environ
deux heures plus tard, j’ai honte de ce qu’on a fait, l’impression d’avoir
purement et simplement empiré la situation. Maintenant le mur est blanchâtre,
bleuâtre et paraît encore plus sale qu’il ne l’était initialement, toujours
autant de fissures, mais en plus le sol est recouvert de coulures de peinture
et même les lits et matelas sont tâchés. Je n’aime pas faire mal les choses, et
même si nous sommes au Togo où certaines choses ne semblent pas avoir la même
importance qu’en France, je considère que cela n’est pas une raison pour repartir
en laissant un travail ni fait ni à faire, une chambre dans un état encore plus
déplorable que lorsque nous sommes arrivés à de pauvres mômes qui sont
orphelins et vivent dans des conditions déjà difficiles. Bref, je suis
ressortie de là avec un sentiment d’inachevé. Nous avons pris quelques photos,
fait des câlins aux gamins, joué un peu avec eux, ce qui semblait être
finalement le plus beau cadeau que nous puissions leur faire, et pas venir
barbouiller un mur comme des sagouins. Une chose est sûre, vous ne
m’embaucheriez pas pour repeindre votre appartement. Nous sommes ensuite
rentrées en taxi-voiture, direction Breakfast to Breakfast, un restaurant où
certains volontaires ont leurs habitudes. J’ai réussi à choper un wifi pas trop
dégueulasse, nous avons bu un verre pour dire au revoir à Isabel qui retourne
cette nuit en Ecosse. Je suis ensuite rentrée en moto avec Emmanuel, que je
dois voir demain pour ma première leçon de conduite moto. Oui, oui, vous aussi
vous vous dites qu’il est complètement fou ?